La Grande Vadrouille a cela de passionnant qu’elle est symptomatique d’un autre temps : celui des monstres sacrés du cinéma français, la popularité de Bourvil et de Funès en attestant, pourvoyeurs attitrés d’un genre comique à son firmament. De l’autre côté de la caméra, Gérard Oury n’était pas en reste avec une belle brochettes de succès archi-populaires, tel que le film suscité ou, juste auparavant, Le Corniaud.


Comme ce dernier, l’aura de La Grande Vadrouille repose en grande partie sur son duo d’interprètes que l’on ne présente plus, mais ce serait un tort que de passer sous silence sa véritable sève : celle plus discrète, façon de parler, de son envergure internationale. Car telle était, en tout ou partie, la prétention de ses principaux architectes, Oury et le producteur Robert Dorfmann en tête de file : sa distribution abonde ainsi en ce sens, Terry-Thomas (britannique) et Benno Sterzenbach (allemand) s’apparentant aux figures de proue d’une démarche aussi crédible que stratégique.


Par voie de conséquence, le long-métrage s’arroge un semblant de réalisme (tout relatif) linguistique, les barrières de la langue, accents au couteau et autres subtilités régionales constituant un terreau fertile d’obstacles et quiproquos, tant au service de l’immersion que de l’humour. Tant pis alors en ce qui concerne l’emprise nazie et son potentiel anxiogène, La Grande Vadrouille balayant tout élément de tension au profit d’une légèreté de ton communicative ; il est curieux de noter toutefois son introduction aérienne, celle-ci instaurant un semblant de contraste avec le déroulé à venir.


Résolument récréatif, le film compose un divertissement plutôt bien rythmé qui ne s’en tiendra pas qu’au seul Paris, ou « Calais » selon certains dires (oopsie!) : certes linéaire, cette quête de la providentielle zone libre imprime un peu d’imprévisibilité bienvenue, accroissant par la même occasion l’inventivité des gags et autres situations rocambolesques. La vinophilie de sir Reginald Brook souligne aussi bien le côté bon enfant que parodique du récit, enclin à n’épargner personne : à ce titre, La Grande Vadrouille n’a de cesse de tourner en dérision ses « héros » ordinaires, bien aidé par les jeux sur-mesure de Bourvil et de Funès.


Pourtant, son plus grand atout est aussi sa plus grande faiblesse : les mimiques énergiques de Louis tendent à atténuer la probité douteuse de son personnage, tandis que l’autre grand dadais ne lésine pas sur la simplicité, quitte à parfois même en abuser : son numéro de somnambule oscille entre incongruité et gêne palpable. Dans une autre veine, le film a la main lourde en ce qui concerne l’opposition des styles, surjouant à l’envie le fossé social séparant ses deux figures de proue. Heureusement, Marie Dubois fait mine de transcender son rôle de « love interest » en faisant montre d’une intelligence des plus grâcieuse.


Entre ressorts burlesques et distribution luxueuse, La Grande Vadrouille aura peut-être marqué l’apogée du cinéma populaire français en son temps. Aujourd’hui, l’effet s’est drôlement estompé, mais nous ne saurions bouder notre plaisir.

NiERONiMO
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le 7 août 2021

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