mars 2010:

Un film très important du cinéma populaire et je crois pas loin d'être unique en son genre, ce qu'on appelle un classique paradoxalement pluriel, qui se situe avec difficulté entre la comédie et le film d'aventure, spécialement celle de guerre. Je ne connais pas suffisamment le cinéma de ce temps-là mais j'ai comme l'impression qu'il ouvre une ère nouvelle, en dédramatisant la deuxième guerre mondiale, ouvrant la voie à de nombreuses autres comédies de guerre. Pas sûr en effet qu'il y en ait eu beaucoup avant. Cet esprit pionnier est une rareté dans le cinéma de Gérard Oury (à l'exception notable encore des Aventures de Rabbi Jacob) volontiers traditionnel, conventionnel, bourgeois ou populaire, destiné à être audible du plus grand nombre. Utiliser des évènements ô combien tragiques et en disposer de manière à produire un spectacle et du rire est en soi une entreprise que je ne peux que louer. Je trouve même cela admirable. Alors si Oury dans un soucis naturel chez lui de ne pas faire de vague, toujours contre-productive, prend le risque de choquer les âmes sensibles de cette époque, comment ne pas saluer ce challenge? Quand en plus de cela, son film bat tous les records d'affluence démontrant l'imbécilité des cloisonnements que nos logiques étroites alimentent malheureusement, il serait parfaitement injuste de ne pas mettre en valeur ce fait d'armes.

S'il ne s'agissait que de débloquer ces verrous, ce serait déjà remarquable, mais en plus, ce film se dégage de la masse par de réelles qualités purement cinématographiques, ce qui n'est pas le cas de tous les films de Gérard Oury (cf "L'as des as").

D'abord sur le plan formel, un cinémascope de la plus belle eau donne à cette vadrouille tout sa grandeur. Du moins sont-ce des souvenirs de visionnages lointains qui me font dire cela. La piètre qualité du dvd Studio Canal, annonçant éhontément une pseudo-remasteurisation, ne fait pas honneur aux couleurs du film. J'imagine avec envie ce que l'édition blu-ray doit apporter. Les paysages ensoleillés de Paris, de Bourgogne, de l'Aveyron ou bien les ruelles étroites et désertes la nuit de Mersault sont les jolis théâtres de ce mouvementé périple. La variété de tonalités et de couleurs décore un récit haletant, où les temps morts servent quelques morceaux de bravoures comiques dont les deux ténors que sont Bourvil et Louis de Funès sont les principaux artisans.

Après le succès mérité du Corniaud, autre miraculeuse précision d'orfèvre, la réunion de ces deux grands acteurs comiques est une nouvelle fois une belle réussite. Elle est le produit d'une alchimie bien difficile à gérer selon le metteur en scène, car les comédiens évoluaient sur des rythmes différents. Mais on se fout un peu des recettes de cette tambouille car en tant que spectateur on ne peut qu'admirer leurs échanges. Entre le débonnaire un peu simple -pour ne pas dire simplet- et le petit nerveux à l'arrogante impétuosité, cela ne pouvait que déboucher que sur une rencontre à étincelles. La richesse de ce qu'ils proposent tous les deux, la maitrise de leurs jeux respectifs, le respect des temps, la cadence qu'ils imposent forcent le respect. Evidence qui est l'élément d'explication majeur du succès de ce film qui tourne rond comme une belle horloge avec ces deux pendules pourtant asymétriques.

Le scénario très dynamique charrie, certes, son lot de situations convenues, quasi vaudevillesques, où les déguisements, les croisements de personnages, les échanges d'identités, comme de places sociales, invitent au rire, ce rire que le cinéma français de l'époque a érigé en système qui parait assez enfantin aujourd'hui et néanmoins pas du tout dénué d'un certain charme, celui des années pré-soixanthuitardes. Non négligeable, ce rire a valeur d'illustration d'une France qui n'existe plus. A ce titre "La grande vadrouille" fait figure de document d'archives.

En somme, "La grande vadrouille" est une délicieuse invitation à un voyage dans le temps très agréable.
Alligator
10
Écrit par

Créée

le 6 avr. 2013

Critique lue 348 fois

4 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 348 fois

4

D'autres avis sur La Grande Vadrouille

La Grande Vadrouille
SBoisse
8

C'est ça ton film culte...

Mache (10 ans), qu’en penses-tu ? C’est ça ton film culte ! (blanc) Papa, t’inquiète, je ne veux pas te faire de peine. Ce n’était pas drôle ? Si, c’est drôle. C’est tout. Oui. Développe. Hum. Je...

le 26 mars 2018

58 j'aime

21

La Grande Vadrouille
Grard-Rocher
9

Critique de La Grande Vadrouille par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Au cours de cette année 1942, malgré l'occupation allemande, tout ne va pas si mal pour Augustin et Stanislas. Le premier est un brave peintre en bâtiment qui prend la vie comme elle vient et le...

53 j'aime

20

La Grande Vadrouille
Hypérion
8

But alors you are french ?

"La grande Vadrouille", c'est mon enfance, ce sont des fous rires, c'est "thirty three" & "Tea for two", c'est Louis de Funès qui se déjouit des performances de son orchestre, c'est Bourvil et ses...

le 14 déc. 2011

50 j'aime

5

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

53 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime