Quand Lucas scella le sort du blockbuster et oublia de lire Nietzsche

Que ce soit clair: je découvre l'univers Star Wars avec ce film, je n'avais jamais rien vu auparavant et connaissait vaguement les noms devenus culte. Je critiquerai donc ce premier volet comme oeuvre à part, sans réfléchir à ce qui peut se passer par la suite, parce que je suppose qu'une oeuvre doit être jugée de manière indépendante de tout ce qui lui sera ajoutée par la suite. Si Lucas est pas content, il avait qu'à nous pondre un film de 3/4 heures avec tout ce qu'il voulait montrer en une fois.


Alors commençons par ce qui semble être positif: l'univers. Le cadre présenté est vraiment bon selon moi: des décors variés et qui ont du sens, des personnages différents et attachants, que ce siot les humains ou les robots et autres créatures qui gravitent autour de Han Solo notamment. Les décors sont particulièrement réussis car ils alternent entre terre et espace sans que cela soit choquant et, encore mieux, les scènes dans les vaisseaux alternent entre plan larges montrant le vaisseau évoluer et contre-plan montrant les pilotes, ce que je trouvais vraiment efficace comme procédé pour suivre l'action, notamment lors de la séquence finale sur l'étoile de la mort.


Mais c'est aussi le gros point faible du film, paradoxalement. Parce que les personnages sont suffisamment attachants avec leur petite bouille et leurs petites péripéties de début de film, le côté politique, le fond du problème en quelques sortes, est totalement oublié. C'est quand même dommage de nous présenter une résistante (Leia) un empereur (Vador) et un jeune mec qui devait faire la moisson et qui embrasse la cause... sans justement ne rien expliquer. Pourquoi l'Empire est méchant? J'aurais aimé ne pas aimer Vador, mais présenté comme tel, c'est juste un gna gna gna je suis méchant parce que je suis un vilain habillé en noir. Pareil pour les résistants, vous résistez mais votre vie m'a l'air bien tranquille si on ne vous voit pas en chier, avoir envie de se révolter. Je suppose que cela sera détaillé par la suite... mais une oeuvre ne doit-elle pas se suffire à elle-même après tout?
Puis cela m'amène à commenter le personnage le plus raté alors qu'il avait un énorme potentiel: Obi-Wan Kenobi. C'est un ancien Jedi qui prend le petit Luke sous son aile et lui enseigne l'existence de la force, le début de sa maîtrise... Et on voit bien qu'il incarne l'image du vieux savant qui se sacrifiera pour la cause. Et la scène ou il voit Luke et se fait tuer de façon apaisé car il sait que par la suite, le bien gagnera, elle aurait pu être 1000 fois plus tragique si on avait eu un vrai personnage qui crée une réelle relation avec son disciple, si on l'avait vu apprendre à l'aimer, etc. Cela se confirme avec la voix que Luke entendra par la suite! c'est dommage qu'il ne soit pas tant affecté par la mort de celui qui l'a tiré de sa condition de moissonneur, on aurait pu voir en son professeur un véritable martyr...


Et c'est pour cela que George Lucas aurait peut-être du lire Nietzsche: d'où viennent les valeurs? Pourquoi sont-elles érigées en valeur dominantes? Pourquoi doit-on les suivre elles (le bien, résister contre l'Empire) plutôt qu'embrasser le mal et la terreur? Les personnages de ce premier volet sont donc terriblement naïfs et passifs, ils font des actions lourdes de sens (résister, un mot qui a un sens particulier depuis la Seconde Guerre quand même, risquer de mourir....) que je ne ferais personnellement pas avec de si légères convictions.
En ce sens, je pense que Star Wars est un film très intéressant pour analyser le phénomène du blockbuster qui a émergé avec le Nouvel Hollywood: le film a besoin de consensus pour faire du bénéfice (donc reposer essentiellement sur de l'émotion et ne pas rendre le film complexe en parlant de politique) et devient de moins en moins indépendant (si le politique arrive dans un autre volet ou que la force gagne en sens et en intérêt plus tard, faisant revoir mon jugement du personnage de Kenobi, c'est que l'oeuvre en tant qu'objet se suffisant à lui-même est raté), ce qui permet de faire des suites qui fonctionnent sur l'attachement aux personnages. La preuve: 40 ans plus tard, les fans hystériques continuent de voir le film, la seule différence est qu'ils ont 50 ans! Enfin je jugerai les derniers films plus tard mais bon, vous voyez le principe.
J'ajouterai à cela que c'est vraiment un blockbuster frustrant parce qu'il a ajouté des éléments politiques de lui-même (parler d'Empire et résistance notamment) alors que se fonder sur l'émotion uniquement n'est pas un mal, je pense par exemple aux Dents de la mer de Spielberg sorti deux ans auparavant: la scène de l'enfant qui se fait croquer au début du film avec la mère qui s'effondre, ça marche du tonnerre, comme quelques autres morts de personnages!


Donc en conclusion; on a un film super frustrant parce que les personnages sont trop cool, l'univers a un énorme potentiel mais les enjeux sont catastrophiques, l'action du héros perd en sens et en portée, à se demander pourquoi c'est un paysan qui va sauver la galaxie alors qu'il n'a jamais adhéré à aucune cause ni même donné un billet à la CGT.

morenoxxx
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le 1 juin 2020

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