Il y a 20 piges Mathieu Kassovitz allait foutre un bon coup de pied dans la fourmilière en sortant un film-choc, allant même bousculer le petit monde bien douillet en haut-lieu. Le chef des cols blancs, aka Jean-Louis Debré alors Sinistre de l'Intérieur, portait plainte contre une des chansons ("Sacrifice de poulets") présente dans le film. Au moins il aura vu le film, c'est déjà ça. Bref.
On ne fait pas d'omelette sans attraper la poule comme dirait moi-même. Oui, on ne peut guère traiter de sujets épineux sans devoir croiser le fer. La haine c'est la rage. Une expression qui est devenue un symbole lorsque la coupe est remplie, lorsque le désespoir devient le seul compagnon de route d'une jeunesse à la dérive dans une société qui laisse peu de place à la contestation sans que l'oppression ne soit loin. 1995 faisait suite à plus de 10 ans de perturbations croissantes dans les ZUP (émeutes des Minguettes à Vénissieux en 1981 qui initièrent la première « marche des beurs » de 1983, et celles de Vaulx-en-Velin en 1991). Ces événements ont fait date, et la mort de Malik Oussekine lors des manifestations étudiantes de 1986 contre la loi Devaquet est elle aussi un point d'encrage de ce long métrage.

Le film n'est pas tant une peinture de la banlieue mais est surtout un voyage sur quasiment 24h de trois jeunes suivis caméra à l'épaule après une nuit d'émeutes. On y suit leur odyssée pavée de glandouille, d'embrouilles, d'insultes et une forte volonté de vengeance de Vinz (Vincent Cassel) au cas où le jeune blessé par un flic pendant la nuit précédente trouverait la mort.
Les personnages principaux - Saïd, Hubert et donc Vinz - ont tout trois des caractères différents, et chacun essayant d'entraîner les deux autres sur son terrain. Vinz est colérique avec l'esprit frondeur, Hubert ne pense qu'à quitter la cité pour une vie meilleure et Saïd joue le rôle de médiateur entre les deux qui se cherchent constamment.
Ce qui est frappant - hormis ce magnifique noir et blanc - c'est la force à la fois du fond et de la forme. La haine est découpée en trois mouvements structurant l'évolution dramatique : 1) scènes d'exposition de la cité en marasme au lendemain d'une nuit de violences, suivies 2) d'une virée nocturne dans le centre de Paris où le trio est confronté à diverses situations l'amenant à la perception du mépris. 3) La troisième partie est un dénouement allant dans le sens de cette descente graduelle, justifiant son aspect inexorable. Le film est également découpé en « chapitres », annoncés par une horloge qui indique l'heure de chaque scène-clé. Ainsi par ces procédés, on suit presque pas-à-pas la journée « théâtrale parfaite » (24 heures) de trois garçons de banlieue, le tout dans une atmosphère délétère. La caméra en mode documentariste joue également un rôle important dans la démarche, lui donnant de facto encore plus d'authenticité et de véracité.
La haine est un film qui se positionne, je ne vais pas l'en blâmer. Ce monde manque cruellement de personnes qui ont des cojores. Mathieu Kassovitz lance donc un pavé dans la mare et ne se met pas de son côté les politiques, encore moins les flics. C'est certain. Mais bon, on s'en fout. La complaisance n'a pas lieu d'être dans son film, non plus lieu d'exister. Cette œuvre dépeint une histoire sans fin, un discours entre sourds et muets. Des mondes qui s'opposent et ne se comprendront jamais. Les uns par la coercition et la répression, les autres par un refus d’obtempérer.

La fin est là pour en témoigner.

Une production qui dérange, bouscule, met à mal, indispose et repousse encore plus loin les canons de la bien-pensance.
lehibououzbek
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le 19 sept. 2014

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