Il y a les films qui sont des cultes de ton adolescence et que tu ne dois strictement pas revoir. Et il y a les autres. Comment savoir ? Ça se joue à la fois sur le vieillissement du film (A-t-il pris de la bouteille ou un coup de vieux ?) et sur ton vieillissement à toi, l’évolution de ton rapport au cinéma. Et c’est même plus complexe puisque l’humeur y tient un rôle majeur. Tout ça pour dire qu’il y avait un risque à revoir La haine, qui tenait une place importante dans ma maigre cinéphilie d’adolescent. Je ne l’avais pas revu depuis quoi, douze ans. Et agréable surprise, j’ai repris une claque comme à l’époque. Déjà il faut dire combien la mise en scène de Kassovitz est brillante, inventive, entièrement dévouée à l’espace qu’il vient capter autant qu’aux personnages. C’est une virtuosité qui n’est jamais gratuite ou bien elle se fond admirablement dans un ensemble visant une énergie qu’on n’avait encore peu vu jusqu’alors, qui plus est dans le registre de la chronique. Car contrairement au film de Richet (Ma 6-T va crack-er) qui joue plus la carte du polar à charge, La haine se concentre sur le terrain de la chronique, celle de trois jeunes d’une cité des Yvelines – Et à aucun moment le point de vue n’adoptera celui d’une autre d’entre eux – plongée en plein climat explosif depuis qu’un jeune s’est fait tabasser par un flic et navigue entre la vie et la mort. Le film se déroule sur une journée. Les heures viennent rythmer quelques fondus au noir. Dispositif souvent écrasant que Kasso utilise avec parcimonie, créant une étrange tension : Douce, puisque les journées de Vinz, Saïd et Hubert sont loin d’être foisonnantes ; Tragique, puisque dans cet écoulement impalpable (les cartons sont approximatifs, il n’y a aucun espèce de compte à rebours) quelque chose d’inéluctable est en train de se jouer. Surtout, le film voyage. Si en majorité, il se déroule dans la cité, celle-ci apparaît sous tous ses angles : appartements, toit, jardin d’enfants, parkings souterrain, arrière cour. Et quand on s’en extirpe, essentiellement dans son dernier tiers, c’est Paris que l’on vient capter. Un Paris refuge, un Paris cruel. Un dealer planqué dans une tour, une expo d’art, le métro. Le plan sur les trois potes allongés dans la gare devant l’écran qui leur annonce la mort d’Abdel au petit matin est l’un des plus violents que j’ai pu voir. Cette scène me terrifiait déjà à l’époque. Sinon je trouve le film nettement plus nuancé que dans mes souvenirs, j’avais gardé de La haine son esprit anti-flic mais il est bien plus ample, ne serait-ce que dans son trio (Pas un plan sans qu’on ne veuille mettre de baffe à Vinz et en même temps, il y a une fragilité dans son inconscience qui est très touchante) mais aussi chez les flics comme au moment ultra malaisant de l’arrestation où l’un des flics reste choqué, en retrait, autant que Saïd en fin de compte, quand il est spectateur du pétage de plomb de son pote s’apprêtant à buter un skinhead. Bref, c’est un film passionnant, qui plus de vingt après sa sortie n’a rien perdu de sa puissance et se révèle toujours excellent porte-drapeau d’une jeunesse opprimée. Le film est drôle ici, au moyen de répliques inusables (« Sans déconner, la façon dont tu viens de parler là, on aurait dit un mélange entre Moïse et Bernard Tapie »), pesant ailleurs. Point de brio documentaire, La haine est un brûlot qui tente plein de choses, notamment dans sa forme jusqu’à révéler deux mondes dos à dos qui ne peuvent que s’affronter de façon explosive après un si long refoulement. La fin est forte. Pourtant c’était elle que je craignais le plus, avec le côté boucle et la petite phrase d’Hubert, l’absurdité poussée à son paroxysme et la cruauté après l’instant rédempteur. Il y a le choc, oui. Mais il y a surtout une sécheresse, un corps effondré, un rire gêné, des yeux fermés bien plus forts et bouleversants que cette image des deux flingues/visages se faisant face. A part ça je ne me souvenais pas qu’on y croisait une pelletée de stars ou futurs stars, souvent dans des rôles minuscules : Karin Viard dans l’expo, Marc Duret, Zinedine Soualem et Bernie Bonvoisin chez les flics, Sergi Lopez aux merguez, Benoit Magimel sous un bonnet, Kasso himself en skinhead, Valeria Bruni-Tedeshi faisant la manche, Philippe Nahon chef de la police, Vincent Lindon bourré dans la rue, François Levantal (J’adore cet acteur, même chez Marschal) qui campe l’inépuisable Astérix « Eh ouai ducon, eh ouai » ou encore Edouard Montoute, Cut Killer. Bref, hallucinant.

JanosValuska
8
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le 15 mars 2017

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JanosValuska

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