Il était une fois la non-révolution

Sorti en 1969, La Horde Sauvage de Sam Peckinpah est considéré par nombre de critiques comme un immanquable du genre western. Il est pourtant difficile de ne pas voir derrière ce feu d'artifice cinématographique affiché comme une révolution un simple pétard mouillé qui tourne en rond.


Les qualités de La Horde Sauvage pourraient se diviser en deux groupes, celles contextuelles et les autres. Cette deuxième catégorie, dont on peut légitimement mettre en doute l'existence dès lors que l'on émet une critique sur l'Histoire de l'Art de manière globale, sera plutôt à mes yeux le contenant des éléments positifs de l'Art cinématographique seul.
Ainsi, il paraît difficile de refuser à ce western une photographie tout à fait réussie. L'étalonnage est sans bavure, le cadrage rarement laissé au hasard, les couleurs ternes, souvent brunes, jaunes ou verdâtres, contribuant à l'aspect poussiéreux d'une atmosphère globale assez salissante. La topographie des lieux est souvent très astucieusement disposée et présentée, en particulier en amont des scènes d'actions ce qui paraît alors indispensable. Pour exemple, la scène de la rencontre entre notre horde de brigands et le général Mapache aura le mérite de parfaitement disposer les divers protagonistes mais également de mettre en exergue une distinction sociale entre trois classes par la verticalité des lieux. Mapache et ses seconds se situent au dessus de tout, en contrebas la foule grouille et entre ces deux niveaux se situent nos compères. C'est de la plèbe que s'extraie l'ancienne compagne d'un de nos héros pour rejoindre un niveau plus élevé que celui que lui offre son mexicain de fiancé.
Mais au delà de ces éléments assez communs, le film de Peckinpah a acquis un caractère culte pour son contexte. Car il est vrai qu'à l'époque, tant par sa réalisation que par sa morale, le film eut tendance à heurter des consciences.
En 1969, les États-Unis d'Amérique sont embourbés dans un conflit Vietnamien devenant impopulaire. Dans ce contexte, la critique de la violence faite par le film trouve un écho tout particulier auprès d'une population qui la rejette de plus en plus nettement. Car dans La Horde Sauvage, les notions de bien et de mal et l'idée d'un État de droit se dissipent au gré d'une vision bien moins manichéenne du mythe fondateur des États-Unis qu'est le western.
La réalisation ne déroge pas non plus au caractère innovant du métrage. Raccords très violents, parfois épileptiques, effusions de sang, champs large et contre champs en gros plans... Beaucoup d'éléments contribuent à donner aux scènes de fusillades un aspect chaotique d'où ne résulte que l'hémoglobine et la mort.
Une bourrasque de fraîcheur souffle sur le western américain, critique âpre d'une violence trop cachée, reproche d'un système trop imparfait, rénovation d'un style cinématographique à l'agonie y compris dans ses techniques.


Vraiment? Le film serait aussi parfait?


Ses défauts se divisent dans les mêmes catégories que ses qualités. Hors contexte, la réalisation chaotique des scènes d'actions ruine toute la construction géographique des lieux qui devient dès lors assez inutile. En introduction, il paraît très rapidement impossible de comprendre qui tire sur qui, d'où ou comment. Les corps qui tombent des toits au ralenti ne sont pas plus explicables que les badauds qui, voyant une fusillade au milieu d'une place, décident visiblement de se ruer dans la nasse plutôt que de la fuir. Ce schéma se répétera sans cesse dans le film, appuyé, en dehors des pétarades, par quelques incohérences scénaristiques désarçonnantes. Le contraste flagrant entre les passages surchargés de rebondissements, comme le départ du film, et les scènes de camaraderie ou plus simplement d'errances, aura perdu beaucoup de spectateurs (auxquels j'eus la chance de ne pas appartenir). Le paroxysme final étant encore plus incompréhensible que celui initial, il est crucial d'interroger ceux qui voient en ce film l'origine du cinéma de John Woo car, pour aussi dantesque que soit les combats filmés par ce dernier, il n'en sont pas moins parfaitement clairs, la position et le rôle de chaque personnage étant systématiquement lisibles dans le cours de l'action.
Mais venons-en au contexte. C'est une déception profonde que de voir que le cinéma américain ne peut se renouveler qu'en recopiant les codes du cinéma européen. Car Le Bon, La Brute et le Truand de Sergio Leone, sorti en 1966, avait déjà explosé les codes moraux du western. Cette explosion sera génitrice d'une atomisation pure et simple des règles qui régissaient le genre en 1968 lorsque le deuxième des trois Sergio (1), Sergio Corbucci, accouchera de l'excellent Le Grand Silence. Moralement parlant, autant dire que La Horde Sauvage a quelques années de retard. D'autant plus que, en se déclarant être une critique de la violence, le film s'en fait le défenseur en la rendant jouissive à regarder. Les fans extrême de François Truffaut ou de Karim Debbache connaîtront peut être cette citation du premier :



certains films prétendent être anti-guerre mais je ne crois pas en avoir vu un seul. Tous les films anti-guerre finissent par devenir
pro-guerre
.



Car en autorisant un déluge de violence final porté par des valeurs morales positives, le film inscrit dans le parcours de ses protagonistes une conclusion hautement satisfaisante pour le spectateur et héroïque pour eux. Les gentils ne sont pas ceux que l'on pense, mais mourir pour une noble cause en décimant l'équivalent de la population du Kossovo avec trois copains reste quelque chose de bien.


Cet aspect jouissif de la violence dans la réalisation, à la différence de ce que l'on peut voir dans Le Grand Silence de Corbucci, fait plus écho à Django du même réalisateur sorti en 1966. Difficile de ne pas repenser à la scène de l'assaut sur la forteresse ennemi ou à celle de l'accueil à coup de mitrailleuse de la horde adverse du western de Corbucci lorsque l'on contemple le massacre final du film de Peckinpah.


Au final, certaines nouveautés sont tout de même à pointer. L'utilisation parfois habile, d'autre fois à la ramasse, de ralentis est une expérimentation dans l'action qui fera des petits dans le cinéma. La présence d'enfants distillés tout au long du film renvoie vers une critique de la transmission de la violence de génération en génération qui est intéressante. La Horde Sauvage est un bon film, peut être même un très bon film pour ceux qui n'ont pas de mal avec le dynamisme des scènes d'actions et la peinture rouge criarde servant de faux sang. En sortant aux États-Unis en 1969, il devient une oeuvre majeure en étant au bon endroit, au bon moment. Mais son caractère révolutionnaire ne s'applique pas au Western, mais plutôt au Western Américain, ce dernier baissant finalement les armes devant le génie du Western Spaghetti qui avait annoncé ce tournant au milieu de la décennie déjà.


(1) : Sergio Leone, Sergio Corbucci, Sergio Sollima

F_Zappa
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le 5 oct. 2018

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F_Zappa

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