LA LA LAND (17) (Damien Chazelle, USA, 2017, 128min) :


Cette somptueuse romance dramatique dépeint la rencontre au cœur de Los Angeles de deux êtres passionnés, Sébastian pianiste de jazz exerçant son art dans un club de jazz ringard et Mia, serveuse dans un café au sein de studios de cinéma Warner Bros, entre deux auditions pour devenir actrice. Le réalisateur franco-américain Damien Chazelle découvert en plein hiver 2014 à l’occasion du festival de Sundance avec le percutant et triomphal film choc Whiplash revient vers nous avec le fameux « handicap du second film ». Le projet suivi de longue date par une foule d’admirateurs suscitaient autant d’attente que d’appréhension. Moi-même n’étant qu’à Demy fan de toutes les comédies musicales, souvent associées à une certaine naïveté ou mièvrerie, ce nouvel opus me faisait craindre une bluette dont mon romantisme (et oui les hommes aussi peuvent pleurer facilement...) ne serait pas ému car trop guimauve. Puis vint la cérémonie des Golden Globes et le triomphe absolu avec record du nombre de récompenses, sept au total, un chiffre intimement lié à ma vie avait de quoi me rassurer un peu et faire grandir ma hâte. La La Land n’en déplaise à ceux qui ne l’aimeront pas était déjà entré dans la légende du cinéma par le biais de cette cérémonie et s’élevait au panthéon de l’histoire du cinéma. Il ne me restait plus qu’à vérifier sur grand écran, dans un bel écrin si mes craintes ou ma félicité allaient vibrer sans faire jaser. Point de suspense eu égard à ma note tenue sur la partition de mes critères cinématographiques sans anicroche. A la clé cette œuvre confine aux délices…D’emblée la mise en scène de Chazelle donne le La au cœur de L.A ! Une éblouissante scène inaugurale en plan séquence vient réveiller en moi le langage du corps et transforme cet échangeur d’autoroute en une enthousiasmante chorégraphie où les passages des automobiles s’extirpent de leur véhicule et grisaille quotidienne pour nous offrir une inventive danse entêtée par une chanson entraînante irradiant les protagonistes autant que l’image multicolore. Bienvenue à la cité des anges. Lieu de culte où les lettres HOLLYWOOD surplombent du haut de sa colline tous les doux rêveurs. Le réalisateur s’empare de cette aura pour nous conter non pas un feel good movie musical mais une romance aux chemins tortueux remplis de labyrinthes psychologiques telle une Mulholland Drive au-dessus de la ville. Damien Chazelle s’empare d’une intrigue assez (trop ?) simple pour un intime voyage nostalgique et émotionnel au sein de l’usine à rêves, décliné par le biais d’une histoire d’amour chaotique. Une rencontre faite en plusieurs temps, un contact rugueux, un hasard, une séduction par la danse et une fusion des âmes qui ont la « fureur de vivre » dans une salle obscure. La passion musicale du jazz pour Sébastian, puriste absolu peu enclin à l’évolution de son courant, nostalgique d’un jazz d’antan et Mia actrice humiliée à chaque casting espérant voir un jour son nom en haut de l’affiche. Musique et cinéma, un alliage de l’eau et du feu. Une alchimie qui prend corps sous la caméra bienveillante et toujours en mouvement, à renfort de balade sifflotée, ou d’hommages magnifiquement chorégraphiés par Mandy Moore, dévolus à l’âge d’or hollywoodien des comédies musicales de Métro Goldwyn Mayer en se réappropriant l’essence même de ces films d’époque et en y insufflant une modernité contemporaine de bon aloi. Chaque morceau musical trouve sa bonne texture, des couleurs chatoyantes sans être artificielles, la fluidité de la mise en chanson et de la mise en image s’immisce subtilement dans les interstices de l’histoire d’amour où le désenchantement va venir petit à petit s’inviter à la triste réalité du quotidien. Et là le réalisateur malgré quelques ficelles d’usages, pose intelligent la question des sacrifices ou des renoncements que nous sommes prêts à faire pour aller au bout de nos rêves. Mais la mièvrerie ne prend jamais place au sein de cette œuvre désenchantée. Certainement la plus belle réussite de ce film très contrasté et riche en thèmes. L’alchimie s’avère parfaite entre la légèreté amoureuse et la gravité des choix personnels. Cet enthousiasmant hommage aux comédies musicales et une pertinente réflexion sur le spectacle se décline par des prouesses visuelles et une mise en scène magistrale à l’intelligence situationnelle. Chaque saison au nombre de quatre bonifie la saison précédente. Le réalisateur enchaîne avec maîtrise et assurance sur l’amour de son art un langage cinématographique inventif et particulièrement pertinent dans ses lumières et dans ses cadrages. Il convoque aussi, de façon totalement assumée, toutes ses sources d’inspirations sans se faire mousser, de Demy Jacques dont il fut bercé, à Minnelli Vincente ou encore Donen Stanley en multipliant les clins d’œil par les décors, les chorégraphies où les situations avec une élégance savoureuse. Une formule envoûtante retrouvée lors d’autres vénérations au septième art. Une scène à la gloire du cinéma d’Elia Kazan lorsqu’au Rialto Theatre, célèbre cinéma mythique de Los Angeles, les héros se retrouvent devant La Fureur de vivre et où au moment de s’embrasser la pellicule s’embrase. Qu’à cela ne tienne, leur route dans un élan romantique, les emmène au célèbre observatoire Griffith, dont le fameux planétarium a vu la légende James Dean en Technicolor devenir une étoile pour un moment d’élévation vers leurs rêves étoilés. Mais le cinéaste ne reste pas tourné essentiellement sur un passé nostalgique en témoigne son dispositif narratif lors de l’admirable et émouvante séquence finale que Diane Després la maman de Mommy (2014) de Xavier Dolan ne renierait point, tant la justesse et l’évocation d’une autre vie si d’autres choix avaient été faits nous chavire. Une vie rêvée des anges dont l’auteur habilement élude la convenance. Damien Chazelle préfère le dilemme. Son long métrage parsème au grès des humeurs une partition musicale enivrante composé par Justin Hurwitz aux thèmes musicaux exquis et de chansons précieuses à la tonalité suave notamment City of stars. Mais la puissance émotionnelle du film repose sur le mariage d’un couple de cinéma étourdissant dont la symbiose confère à la magie du cinéma toute sa noblesse. Ce couple chavirant, composé par Ryan Gosling dont la candeur, la drôlerie et le charisme illumine la pellicule et d’Emma Stone divine et fragile nous offre une alchimie irrésistible. Aussi bien dans les numéros dansés, chantés que dans les scènes fictionnelles, cette interaction formée pour la grâce de nos yeux, s’avère sidérante et remarquable. Un miracle comme seul le cinéma peut nous apporter. Damien Chazelle tout au long du film nous invite à danser, à rêver et à s’aimer avec une maestria époustouflante. Il se fend avec humilité et de façon artisanale, au sens noble du terme, d’une merveilleuse déclaration d’amour au jazz et au cinéma. Cette œuvre tendre est une offrande à recevoir, un arc en ciel affectif à admirer, un classique instantané à déguster, l’âme et les bras grands ouverts. Alors venez-vous laissez envoûter par vos émotions au sein de La La Land. Éblouissant, mélancolique, virevoltant et émouvant.

seb2046
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le 23 janv. 2017

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