Sur esthétisé, surpuissant, sur fantasmé, sur bouleversant (si ça se dit...), La La Land est une comédie musicale réalisée par Damien Chazelle, jeune réal d'une trentaine d'année qui a bien révisé ses classiques : de West Side Story à Fred Astair, Chazelle livre une petite bulle de bonheur béat, au premier abord innocente et insouciante. L'air de rien, une friandise nostalgique. Mais si on s'y intéresse de plus près...
Au sortir de La La Land, la première chose qui frappe, c'est sa maîtrise : l'ambiance est aussi bien restituée que le décor. La reconstitution suinte le chic come Grand Budapest Hotel le bon goût et The Revenant la prétention (vais pas me faire que des amis sur celle là...). C'est beau, c'est bon. Le plaisir est là à voir des adultes se trémousser comme des enfants. Des noirs, des blancs, des femmes, des hommes "Qui n'ont que la musique pour se comprendre" statue Sébastian, le personnage de Ryan Gosling. En bref, on sourit : on s'est éclaté. On s'est étonné aussi d'une telle maîtrise: les mouvements de caméra sont aussi inattendus que les lumières et les aplats de couleurs sont un régal pour les yeux. La La Land n'est pas qu'un film grand public charmant et charmeur, c'est aussi une merveille d'esthétique. Nombreuses seront les interprétations à tel où tel plans. Où pas, c'est selon. Pour enfoncer le clou, la bande originale signée Justin Hurwitz est un torrent de bon goût, de simplicité et d'envolée lyrique. La La Land, au premier degré, pour toutes et tous, cinéphiles où non, est une indéniable réussite. Reste à saluer Ryan Gosling, bloc de fragilité taillé dans la même pierre que la délicate mais assurée Emma Stone (Gosling remporte l'adhésion pour son travail de nuance, allant de la maladresse enfantine à la tristesse noirâtre). La La Land, parfait ?
Non.
Parfait, c'est une insulte : parfait, c'est statuer qu'un film est sans défauts, sans fausses notes, que chaque pari est remporté, chaque parti pris assumés.
Et c'est le cas du long métrage. Mais les sommets de La La Land se trouve dans ses défauts, ses fautes de goûts et de rythme, au service d'un bouleversant message. Car La La Land (j'adore ce titre, oui), c'est deux film en un. Deux la pour un Land, deux amoureux pour un drame, deux notes distinctes dans la symphonie des rêves tristes. Deux partitions pour un sur chef d'œuvre. Plus qu'un parti pris, un défi à part entière.
La première partie est une restitution moderne, trop propre pour être vrai, copie d'influences assumées qui n'hésite jamais à sortir les gros violons et les visuels surannés (la danse dans l'observatoire, le pianiste sous le projecteur...) pour montrer son érudition, sans faire montre d'un fond très fouillé. Mais les contes ne durent qu'un temps : sur le même mode qu' Into the woods de Rob Marshall, La La Land conte l'après "Et ils vécurent heureux" et propose alors un second récit.
Et quel récit.
Le message asséné par Chazelle est d'une violence inouï. Il affirme ainsi au travers d'une intrigue amoureuse des plus fluide et maîtrisée (mais jamais attendue) que la passion artistique et l'amour ne pourront jamais plus cohabiter, dans ce monde moderne où les sacrifices se multiplient. Ce regard insistant et rêveur de la première partie est alors compréhensible : Chazelle rêve de rêves, tout comme ses personnages, qui entament des claquettes devant un paysage de nuit de la ville avant de se faire interrompre par une sonnerie de téléphone, où qui achèvent leurs incroyables ballets en rentrant dans leurs voitures coincées dans les embouteillages pour se remettre à klaxonner sur les autres. La critique se fait alors jour et parle habilement de la mort lente de l'art, spécialement du cinéma (confer les auditions de Mia) qui semble nous inviter à regarder comment "C'était mieux avant" sans en dire plus, ni même donner de plus values. Un problème plus qu'actuel dans l'industrie d'aujourd'hui, qui ne jure que par la résurrection où la continuation de franchises interminables. Le premier segment du film prend tout son sens et agit en reflet de cette nostalgie vampirique. Le monde moderne est froid et terne, les rêves y sont broyés au nom d'une quelconque valeur qui pourtant reste floue : en effet jamais le film, s'il à des choses à dire, ne se fait moralisateur et ne donne des ennemis sur qui taper. Seulement des personnages perdus dans ce monde insensé.
Le film sait se montrer malin. Mais il tient surtout à faire couler les larmes sans prétentions : après une comédie musicale outrageusement entêtante et excitante, La La Land embraye sur le triste destin de ses personnages, condamnés au sacrifice impossible. Aimer l'autre, c'est avant tout savoir le laisser partir, s'accomplir ? Aimer l'autre d'un amour véritable, n'est-ce pas en fait... ne pas l'aimer ? Ne pas occuper ses pensées, le laisser vivre sans nous, ignorer la douleur et simplement continuer à vivre sa passion en son nom ? Le film parle de rêveurs trop petit face à leurs passions, au système (si Hollywood est dépeint comme glamour, il est également oppressant et étouffeur d'ambitions) et à leurs propres fantasmes. Par des rêveurs, pour des rêveurs, le tout emballé dans le genre fait pour, la comédie musicale : plus méta tu meurs.
Et La La Land de s'achever sur une note d'espoir : trop chic et lumineux, le film se refuse tout lacrymal et laisse parler les sourires, les regards complices. Le spectateur s'occupe des mouchoirs pour lui. Damien Chazelle, cinéaste de la douleur et de la passion profonde (amoureuse, artistique...) que traduisent des visages rudes, tristes, dépressifs ,fatigués où souriants, semble avoir trouvé son esthétique noyée de musique après un Whiplash intense. Il y mettait en scène la création artistique comme un acte doloriste, qui nécessitait une persévérance jusqu'au boutiste comme un amour masochiste pour la douleur que créait la passion. La La Land est en fait dans la continuité et pose l'art en rempart contre la fin du rêve.
Beau, fort, aussi divertissant que profond, crève cœur, mélancolique, exaltant, parfaitement mis en scène et en musique, joué avec talent et... passion,La La Land n'est pas parfait : il est sur parfait.