Non La La Land n'est pas une comédie musicale niaise!

A l'heure du reworking cinématographique

De nos jours, dans l’industrie hollywoodienne, le vintage a bonne presse. Il est plutôt lucratif de réutiliser des mécanismes du cinéma d’antan en témoignent le succès de The Artist :version moderne du cinéma muet et maintenant La La Land ou une comédie musicale comme on en voyait plus dans notre cinéma occidental. Je lance un petit pari, prochain grand succès à Hollywood : un film faisant renaître le théâtre de marionnettes ! Mais trêves de constations et de spéculations, passons plutôt à la critique.

J’attendais ce film avec la plus grande impatience faisant confiance à son réalisateur Damien Chazelle qui m’avait littéralement scotché avec son chef d’œuvre Whiplash (2014).
Si la critique est globalement des plus enthousiastes j’avais pourtant senti un scepticisme en France, lisant çà et là des titres de critiques comme "La La Land, ode merveilleuse à la comédie musicale ou « Gna Gna Land »" (Le Figaro).

En effet la question se pose face à la simplicité du scénario : une histoire d’amour entre deux individus un peu paumés dans leurs quêtes respectives de succès à Hollywood, soit un sujet pouvant très facilement donner naissance à un nanar bien niais. Vous me voyez donc arriver avec mes grands sabots, je vais une nouvelle fois vous expliquer pourquoi j’ai adoré La La Land alors que d’autres peuvent sortir des salles obscures en disant « tout cet emballement médiatique pour une simple histoire d’amour, franchement pas si ouf ce film ». Et pourtant...

Une mise en scène réglée comme du papier à musique

Pardonnez-moi la facilité du jeu de mot, mais l’expression n’a jamais été aussi appropriée. Comme Whiplash, La La Land est un film musical de génie. Il est impossible selon moi de faire preuve d’un moment d’inattention car dès la scène d’ouverture, on est embarqué dans une folle farandole pour reprendre les termes de notre Edith nationale. Je m’explique : ce qui est frappant c'est qu’Il n’y pas que les passages chantés qui sont rythmés mais en réalité tout le film suit un « beat » entrainant. Les mouvements de caméra souvent en mode « caméra libre » semblent faire danser le décor et les personnages même quand ils sont immobiles. A d’autres moments des plans séquences géants nous exposent des scènes de danse spectaculaire qui nous donnent presque envie de nous lancer dans un solo de claquettes. Les pas des personnages même quand ils ne dansent pas suivent un tempo bien précis, les transitions entre les plans et les dialogues ont également une certaine musicalité. Je me suis amusé à plusieurs reprises à battre la pulsation (dans ma tête, toutefois, pour ne pas me faire virer du cinéma) et j’ai alors été d’autant plus admiratif face au travail réalisé. Quand ce n’est pas la musique qui donne le tempo, c’est l’apparition d’un nouveau personnage, d’un élément de décor ou d’une nouvelle couleur à l’écran qui va « tomber » au bon moment : à chaque battement du métronome. Je vous invite à faire l’expérience chez vous en prenant un métronome, vous verrez ainsi que chaque scène a une rythmique particulière même sans la bande originale du film. Le cut final est un modèle du genre car il tombe avec le timing parfait, au moment où on veut le voir et surtout car l’ultime réplique illustre parfaitement l’idée que je viens de développer. En effet le film s’achève sur Ryan Gosling qui bat la mesure « one two, one two, three four », une manière pour Chazelle de nous dire, "c’est la fin de ma partition et le début d’une nouvelle que l’on ne verra pas à l’écran".

La construction d’un univers : la symbolique des couleurs et l’amour de/à Los Angeles

Plusieurs éléments contribuent à créer un univers très plaisant à contempler. D’abord le film suit un rythme atypique on l’a dit grâce aux séquences chantées et dansées mais aussi aux autre moments où s’impriment un certain tempo. Ensuite chaque plan du film est selon moi très « photographique ». On retrouve une incroyable finesse et un sens du détail dans le choix des décors, des costumes et des couleurs. Cette mise en scène accordant une place très importante à chaque détail du décor, car constituant autant de symboles venant enrichir la compréhension du film, m’a rappelé la minutie d’un autre réalisateur : Wes Anderson. Si vous avez aimé la manière dont l’univers de La La Land s'articule, vous aimerez sans doute The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson.

Dans l’univers de La La Land j’ai particulièrement apprécié la manière de filmer la « city of stars » : Los Angeles pour laquelle le réalisateur semble vouer une fascination qu’il tente de nous transmettre. Souvent filmée à l’aube ou de nuit comme pour mieux la transfigurer. Les éléments a priori les moins « sexy » et originaux de la ville sont magnifiés, par exemple les embouteillages et les pool parties de Los Angeles. Par moment la manière de filmer rend aussi hommage aux premiers grands classiques hollywoodiens.

Spoiler alert : je vais dévoiler ici quelques éléments de l’intrigue

Bon il s’agit d’une pure interprétation mais on peut par ailleurs tous convenir que Chazelle est un fétichiste de certaines couleurs et que le mélange de ces dernières tout au long du film produit un très bel effet esthétique. On gardera tous en tête ces images de robes et costumes multicolores se mariant dans des grandes chorégraphies collectives. Entre la musique, la couleur, les paysages nos pupilles et oreilles sont « impressionnées » (au sens qu’elles reçoivent une multiplicité d’impressions sensorielles), et comme le jeune amoureux (comme Mia et Sebastian) on se retrouve bien vite enivré. La synesthésie s’opère parfaitement et on se laisse embarquer dans ce « land de tous les possibles» comme à la lecture de l’invitation au voyage de Baudelaire (grand maître de la création de synesthésie par le langage).

Que nous dit cet univers ? Que veut nous faire ressentir le réalisateur ?

Je voulais ici revenir dans un premier temps sur l’intérêt des gimmicks que j’ai évoqués précédemment. Le klaxon délirant de la décapotable de Sebastian ou encore la couleur turquoise sont des moyens pour le réalisateur de créer des instants de complicité avec les spectateurs car ils annoncent à chaque fois des séquences bien précises du récit qu'un œil attentif peut donc anticiper. Mais aussi, Chazelle va créer des effets d’écho entre plusieurs scènes par la répétition de ces codes couleurs et sonores. Je pense notamment à deux scènes pour lesquelles l’effet de parallélisme est somptueux. Il s’agit de la scène où Mia entend Sebastian jouer du piano en rentrant par hasard dans un restaurant et de la scène finale où elle se rend sans le savoir au « Seb’s » avec son nouveau compagnon. Chaque fois un élément très précis va précéder (et précipiter ?) ces rencontres fortuites, il s’agit d’un éclairage rouge. Au début du film Mia rentre dans le restaurant (où Sebastian est employé) comme attirée par la lumière d’un vieux néon rouge. Plus tard, à la fin du film Mia et son mari se retrouve coincés dans un embouteillage (qui fait écho au premier embouteillage du film), et on a de nouveau un néon rouge : celui des feux arrière d’une voiture, qui éclaire le visage d’Emma Stone avant qu’elle ne sorte de la voiture pour se rendre sans le savoir au Seb’s. Le réalisateur jalonne donc son récit de petites madeleines de Proust. Dans une autre scène, après une dispute ayant donné lieu à une brève séparation avec Mia, on voit Sebastian, qui joue le fameux thème qu’il a joué à Mia lors de leur première rencontre entouré de ballons de couleur… bleu turquoise ! Par le biais des échos et autres madeleines de Proust, Chazelle nous figure la formation et la persistance du sentiment amoureux. Ce dernier reposant souvent sur des impressions sensorielles multiples : un parfum, une couleur, un lieu qui rappelle l’être aimé dans des circonstances diverses.
Cette figuration de la psychologie amoureuse dans un univers à la frontière de l’onirisme m’a rappelé Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry. Il s’agit peut-être d’un ressenti purement personnel mais je trouve que ces deux films donnent à ressentir les mêmes choses : la construction puis la fin d’une histoire d’amour fusionnelle, qui fait naître un fort sentiment de nostalgie et des situations de "déjà vu". Ces deux films partagent aussi un aspect surréaliste et je trouve que le couple au centre de l’intrigue du film de Gondry a de mutiples points communs avec le couple Mia/Sebastian (une rencontre hasardeuse, une histoire fusionnelle, des personnages parfois maladroits mais charmants).

Au-delà de la réalisation de génie, un message pas si niais

Certes on est à Hollywood, Mia est une actrice et Sebastian un jazzman donc c'est un contexte culturel particulier pourtant cette histoire relève d’une certaine universalité (chacun peut s'y reconnaître en partie ).

Ce film nous dit en effet quelque chose de la quête d’épanouissement que chacun poursuit à sa manière. Ce développement personnel passe en grande partie par la recherche de formes d’amour diverses parfois incompatibles : l’amour de son/sa partenaire, son amour propre, l’amour de ses amis, sa famille. Hollywood cristallise toutes ses tensions et La La Land exploite parfaitement cet environnement. Mia et Sebastian sont des rêveurs, presque des marginaux et tout au long du récit on assiste en quelque sorte à leur passage à l’âge adulte. Ils tentent d’adapter leurs rêves à la réalité, en faisant certains sacrifices. Chazelle nous montre aussi (sans tomber dans gnagnaland) le caractère transcendant du sentiment amoureux. C’est sous l’impulsion de Mia que Sebastian va vraiment lancer sa carrière et c’est Sebastian qui accompagnera Mia au casting qui sera décisif pour elle. De plus on n’assiste pas à un happy ending mais à une fin qui sonne très juste, et renforce l'effet de réalisme.

Chacun peut aussi s’identifier aux deux personnages fictifs : Mia et Sebastian. Ils sont tous deux loins d’être l’archétype du couple parfait qu’on trouve dans certaines comédies romantiques ou encore loins de l’extrême inverse type « Bridget Jones ». Encore une fois pas de fausse note dans le dosage de ces éléments! Sebastian a sa maladresse, son klaxon lourdingue, son appartement où les cartons s’empilent, et son allure qui oscille entre celle du parfait gentleman et du gamin tantôt grincheux, tantôt rieur. Mia, c’est une enfant qui peine à grandir, en témoigne la décoration de sa chambre au début du film, pleine de maladresse, de mimiques mais ne lui permettant pas de décrocher le rôle de ses rêves. Elle est une artiste, qui cherche à trouver sa place. Elle se demande pourquoi elle mène cette vie jusqu’à son ultime casting où on lui demande d’improviser : elle se lance alors dans un monologue très introspectif qui semble agir comme une véritable thérapie pour elle (je fais référence ici à l’histoire de sa tante qu’elle se met alors à chanter).

Plus globalement La La Land est l’illustration parfaite d’une conception de notre société qui considère que la vie est un spectacle, et quoi de mieux qu’une comédie musicale emprunte d’un certain réalisme pour figurer ce qu’Erving Goffman appelait déjà en 1959 : la mise en scène de la vie quotidienne.

En somme pas si niaise que cela cette affaire…

NB : on aurait pu également analyser l'aspect référencé du film qui rend à chaque séquence hommage au cinéma hollywoodien et au genre de la comédie musicale en multipliant les caméos, que je n'ai malheureusement pas pu tous recenser après un seul visionnage du film.

SébastienMagne
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le 20 oct. 2017

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