Dès le premier plan de cette Lampe au beurre de Yak revient en mémoire le microcosme reconstitué dans le parc "occidental" de The World de Zhang-ke : plutôt que d'aller à la rencontre du monde (par monde, comprenez : Disney Park China, une plage face à l'océan bleu turquoise, la Grande Muraille de Chine, une avenue d'Hong-Kong...), la Chine (ou presque : ici le Tibet) s'offre le monde devant, ou plutôt juste derrière elle.

Un photographe, dont la caméra fixe fait dans le film office d'appareil photo, prend des séries de clichés de villageois devant des arrières-plans aussi singuliers que des fonds d'écran de carte postale Windows. Devant ce Powerpoint animé défile le spectacle - un chouïa artificiel - de la vie quotidienne de village tibétain : le maire vient annoncer la venue de représentants du Parti, un ouvrier arrive en retard en tenue de travail... A l'exception d'une vieillarde émouvante qui ne comprend pas que le palais derrière elle et qu'elle a toujours rêvé de visiter n'est qu'une reproduction et se prosterne devant elle, l'indifférence devant l'image domine.

Pourquoi cette indifférence face à des images supposément de rêve ? Peut-être la réponse est-elle contenue dans ce hors-champ que HU Wei n'offre jamais à ces images d'"ailleurs", sinon dans le prolongement du plan final. "Maintenant" succède alors au "ailleurs". Tandis que le rideau des arrières-plans se lève et avec lui toute son imagerie, le réel apparaît violemment. Et il apparaît évident que la gestion du présent, dont la seule nécessité demeure de l'affronter ensemble, écrase celle d'un nouveau possible - spatial, social ou temporel.

La dernière image, c'est celle d'un chantier gigantesque à accomplir, un pont immense à terminer pour connecter ce village au reste du monde et faire de ces images de rêves glacés le réel de demain.
Loryniel
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le 8 juin 2014

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