Ada et l’ardeur.
Revoir ce film 22 ans après sa sortie occasionne bien des craintes, de celles qui alimentent ma liste « Conversation avec mon moi jeune » : le lyrisme aura-t-il encore de l’effet ? C’est avec une...
le 31 janv. 2015
98 j'aime
11
L'humidité est partout, partout dans la terre, la végétation, l'air. Rien n'est propre, tout est boueux, sale. A milieu inhospitalier, sa beauté sauvage. L'empreinte humaine n'a alors que peu éreinté le terrain, il y laisse seulement quelques doigts courant le long d'un horizon composé de noirs et de blancs où chaque surface émet sa sonorité propre.
Ada a perdu son verbe, se murant dans un silence où nul son n'a été. Veuve et mère, elle est débarquée sur les terres Néo-zélandaises pour y retrouver un mari et une vie. Seulement voilà que le piano si cher au cœur d'Ada, tant il devient son moyen de communication le plus perçant, est abandonné à même la côte, le nouveau mari n'ayant que faire du désir de sa femme. Troqué contre des terres à Baines, ce colon tatoué façon Maori, le piano trouve son foyer. Et à Ada d'y être conviée pour prodiguer quelques leçons. Baines préférant entendre que pratiquer la musique, écoute Ada tout en cherchant à éveiller en elle la passion d'un moment volé, brûlant. Vécu comme violence, le jeu des touches se transforme rapidement en une intense séduction...
A l'heure où bien des vérités éclatent - et à juste titre - faisant état d'une société davantage sclérosée que sereine, il serait bien malavisé d'aller scruter en chaque œuvre ce qui ferait l'apologie de la domination masculine ou que sais-je encore. Ici, il n'est pas question d'y voir quoi que ce soit d'autre qu'une histoire entre un homme et une femme, l'un éveillant la sensualité de l'autre, l'une insufflant la vie à son autre.
Car c'est vraiment cela le cœur de cette Leçon de Piano ; renaître par l'expression de sensations que de simples mots ne sauraient retranscrire fidèlement, renaître par la communication la plus archaïque de l'Homme : le corps. Il est mainte fois présenté ici comme le lieu privilégié de la transmission, si bien qu'Ada, attachée si fort à son instrument, finira par le laisser aux profondeurs, en sommeil, tandis qu'elle se mettra à jaillir des flots a plein poumons, en vie. Du corps, la société souhaiterait en faire sa possession. Et à Ada, de se départir d'une cage ceignant un désir qu'elle se refusait jusqu'alors pour se laisser guider par un Baines mi tendre mi abrupt.
Dans une autre mesure, on pourrait aisément voir en ce piano l'expression même du corps d'Ada, sa métaphore. D'abord échoué sur les rives d'une terre étrangère, il est incompris du mari et suscite la curiosité de l'amant. Petit à petit, ce dernier qui pensait maîtriser l'instrument sans pour autant savoir en jouer, l'apprivoise une touche après l'autre jusqu'à ce que son empreinte soit gravée sur l'une d'elle.
Dire que la Leçon de Piano est un beau film serait un doux euphémisme. Il n'est pas simplement beau et bien exécuté, agréablement composé et bien joué, il est incroyable. Jane Campion livre à travers cette histoire un parfum de vie, une inspiration d'air, de pureté. Rajoutez à cela l'excellent travail de Michael Nyman pour cette bande son enivrante, ainsi qu'une écriture de personnages intime, réelle et réaliste et vous obtiendrez cette fresque à la douceur et à la sensualité certaine.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes J'emmène au creux de mon ombre...des poussières de toi, En 2016, je vais sucer la moelle du cinéma, En 2017, Fosca va s'asseoir à la droite de Freud et mate encore et toujours n'importe quoi, Les meilleurs films de 1993 et Une année, un film et son sondage
Créée
le 30 nov. 2017
Critique lue 1.1K fois
21 j'aime
8 commentaires
D'autres avis sur La Leçon de piano
Revoir ce film 22 ans après sa sortie occasionne bien des craintes, de celles qui alimentent ma liste « Conversation avec mon moi jeune » : le lyrisme aura-t-il encore de l’effet ? C’est avec une...
le 31 janv. 2015
98 j'aime
11
Ada McGrath est une jolie jeune femme veuve et muette. Son principal moyen d'expression et ses moments d'émotion passent par les sonorités de son piano dont elle joue merveilleusement bien et qui...
le 3 mai 2013
61 j'aime
16
J’ai du mal à comprendre comment ce film peut être si bien noté et a pu recevoir autant de récompenses ! C’est assez rare, mais dans ce cas précis je me trouve décalée par rapport à la majorité...
Par
le 12 janv. 2021
56 j'aime
20
Du même critique
Bien malin celui qui parvient à noter sereinement ce film. Personnellement il ne m'est guère aisé de le glisser au sein d'une échelle de valeur. Dans tous les cas, une note ne pourra s'avérer...
Par
le 22 sept. 2016
190 j'aime
13
Bien que préparé à recevoir ma dose de barbaque dans le gosier sans passer par la case déglutition, je ne peux qu'être dans un tel état de dégoût et d'excitation à la fin de ce film qu'il me sera...
Par
le 21 févr. 2017
134 j'aime
23
Au commencement... Comment commencer à parler de ce film sans en révéler toute l'essence ? C'est bel et bien impossible. Le nouveau venu de chez Aronofsky n'est pas une œuvre dont nous pouvons parler...
Par
le 8 sept. 2017
84 j'aime
18