L'humidité est partout, partout dans la terre, la végétation, l'air. Rien n'est propre, tout est boueux, sale. A milieu inhospitalier, sa beauté sauvage. L'empreinte humaine n'a alors que peu éreinté le terrain, il y laisse seulement quelques doigts courant le long d'un horizon composé de noirs et de blancs où chaque surface émet sa sonorité propre.


Ada a perdu son verbe, se murant dans un silence où nul son n'a été. Veuve et mère, elle est débarquée sur les terres Néo-zélandaises pour y retrouver un mari et une vie. Seulement voilà que le piano si cher au cœur d'Ada, tant il devient son moyen de communication le plus perçant, est abandonné à même la côte, le nouveau mari n'ayant que faire du désir de sa femme. Troqué contre des terres à Baines, ce colon tatoué façon Maori, le piano trouve son foyer. Et à Ada d'y être conviée pour prodiguer quelques leçons. Baines préférant entendre que pratiquer la musique, écoute Ada tout en cherchant à éveiller en elle la passion d'un moment volé, brûlant. Vécu comme violence, le jeu des touches se transforme rapidement en une intense séduction...


A l'heure où bien des vérités éclatent - et à juste titre - faisant état d'une société davantage sclérosée que sereine, il serait bien malavisé d'aller scruter en chaque œuvre ce qui ferait l'apologie de la domination masculine ou que sais-je encore. Ici, il n'est pas question d'y voir quoi que ce soit d'autre qu'une histoire entre un homme et une femme, l'un éveillant la sensualité de l'autre, l'une insufflant la vie à son autre.


Car c'est vraiment cela le cœur de cette Leçon de Piano ; renaître par l'expression de sensations que de simples mots ne sauraient retranscrire fidèlement, renaître par la communication la plus archaïque de l'Homme : le corps. Il est mainte fois présenté ici comme le lieu privilégié de la transmission, si bien qu'Ada, attachée si fort à son instrument, finira par le laisser aux profondeurs, en sommeil, tandis qu'elle se mettra à jaillir des flots a plein poumons, en vie. Du corps, la société souhaiterait en faire sa possession. Et à Ada, de se départir d'une cage ceignant un désir qu'elle se refusait jusqu'alors pour se laisser guider par un Baines mi tendre mi abrupt.


Dans une autre mesure, on pourrait aisément voir en ce piano l'expression même du corps d'Ada, sa métaphore. D'abord échoué sur les rives d'une terre étrangère, il est incompris du mari et suscite la curiosité de l'amant. Petit à petit, ce dernier qui pensait maîtriser l'instrument sans pour autant savoir en jouer, l'apprivoise une touche après l'autre jusqu'à ce que son empreinte soit gravée sur l'une d'elle.


Dire que la Leçon de Piano est un beau film serait un doux euphémisme. Il n'est pas simplement beau et bien exécuté, agréablement composé et bien joué, il est incroyable. Jane Campion livre à travers cette histoire un parfum de vie, une inspiration d'air, de pureté. Rajoutez à cela l'excellent travail de Michael Nyman pour cette bande son enivrante, ainsi qu'une écriture de personnages intime, réelle et réaliste et vous obtiendrez cette fresque à la douceur et à la sensualité certaine.

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le 30 nov. 2017

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Fosca

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