Ada et l’ardeur.
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Le film se déroule dans le bush néozélandais au 19ième siècle, une terre pauvre, inhospitalière où maoris et colons cohabitent difficilement. C'est l'endroit de la misère où les espérances miroitantes des hommes en quête de fortune se heurtent à la dureté de la nature. "Routiers et capitaines partaient ivres d'un rêve héroique et brutal", ces conquérants, ces colons déchantent rapidement et se perdent dans la jungle suintante et la nature foissonnante de cet archipel perdu.
Ada (Holly Hunter, oscar, prix d'interprétation, golden globes pour ce film), une jeune mère écossaise débarque avec sa petite fille sur cet ilôt âpre et sauvage. Elle y apporte la civilisation, par l'entremise de son piano, qui est aussi son seul moyen d'expression. Muette depuis ses six ans, nous n'avons que ses expressions et que sa musique pour tenter de la comprendre. Le film commence par cette scène magnifique où le piano git là, sur la plage, à la merci des vagues. En effet, Ada doit se marier avec un des colons, un homme apathique et pourtant touchant du nom d'Alister (incarné par Sam Neil). Il n'a pas la place ni l'envie de prendre le piano, alors il le laisse sur la plage. Ada, malheureuse, contrainte de se marier à cet homme d'apparence policée mais rustre, convaint Baines, un voisin et ami d'Alister de l'emmener jouer du piano sur la plage. Ce dernier, alphabète et misérable, proche des Maoris, tombe sous le charme de cette tendre mélopée. Il ramène le piano chez lui, promet au mari des terres en échange et jure à Ada de le rendre contre quelques requêtes - officiellement des leçons de piano, de plus en plus osées.
C'est ainsi que débarque l'érotisme dans un film d'une très grande austérité à l'image de ces robes corsettées qu'Ada est contrainte de porter, à l'image de la communauté du village, inculte et ridicule, à l'image de cette pluie et de cette boue dans laquelle on s'enfonce comme dans la nasse. Ada, va céder, d'abord réticente, aux avances de Baine, magnifiquement interprêté par Harvey Keitel. Ils finiront par s'aimer et le piano deviendra l'objet de leur entrevues. Le piano est bien le personnage central du film, objet incongru, exotique dans ce paysage si peu familier aux yeux occidentaux. Le mari, par les révélations cruelles de la fille d'Ada, inquiète, jalouse et un peu perdue entre tous ces protagonistes qui gravitent autout de sa mère, va découvrir, par l'entremise d'un trou dans le cabanon de Baine la terrible vérité et nous devenons, spectateurs, comme lui, voyeurs de ce spectacle érotique, celui d'une femme qui, sous ses traits austères, est voluptueuse, celui d'un homme qui sous ses airs rustres est tendre et romantique. La sexualité est brutale, les geste saccadées. Les corps s'attirent et se repoussent. C'est un apprentissage. Ada est une enfant, capricieuse, réticente, sauvage, passionnée. Alister, jaloux tente de l'agresser, de la violer et finit par lui couper un doigt la privant pour toujours de son seul moyen d'expression. Le sentiment est poussé à son paroxysme de violence. Il est toujours extrême. Alister souffre, souffre du refus de sa propre femme. Il la voyait pourtant comme un objet de plus, sa propriété, silencieuse et docile. Mais les femmes de Jane Campion, la réalisatrice, sont fortes. Ada s'enfonce dans la boue, sa robe gondole par dessus cette coulée gluante, elle pleure, épuisée. Mais ce n'est pas terminé. Elle se battra jusqu'au bout.
Le mari, excédé, finit par répudier sa femme qui repart, accompagnée de Baine vers l'Angleterre. Celui-ci l'a sauvé. La voilà qui sort de son mutisme, réapprend à parler. Le piano, qui autrefois était tout pour elle n'a plus de raison d'être. Elle le jette par dessus bord tombant, volontairement, avec lui, comme pour en finir. Mais, poussé par son instinct, sa propre volonté, elle remonte à la surface. L'amour, au final, triomphe. La vie surtout.
Un film de contrastes, entre la civilisation et la nature sauvage, entre comportements corsettés, policés et instincts primaires, entre silence et fureur, vacarme et mutisme, un enchevêtrement de complexité, de paradoxes et de beauté, à l'image de ces arbres torves et touffues du bush néozélandais. Un film doux et violent, féminin et masculin à la fois. Une leçon de finesse.
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Créée
le 24 avr. 2016
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