En cours de visionnage, je me disais : que c'est long, je vais mettre une note de merde. Pourtant, l'affiche était prometteuse : un affrontement entre Shintaro Katsu et Toshiro Mifune, et Kihachi Okamoto, le réalisateur du "Sabre du mal", à la réalisation. Dis comme ça, on attendrait un film aux combats stylisés, mutique, à l'humour acerbe.

Or ce n'est pas vraiment le cas. Le film est plus long que d'habitude : 1 h 55, quand les épisodes précédents duraient souvent moins d'1 h 30. Ensuite, l'histoire est plus complexe, avec des personnages ambigus, qui hésitent entre plusieurs rôles (attention aux spoilers) : Kuzuryu est à la fois un tueur à gage et un espion shogunal, de même que Sasa.

Fatigué de ses voyages, Zatoichi décide de retourner dans un village qui lui avait semblé sympa. Mais les choses ont changé : trois ans plus tôt, une famine a obligé les paysans à tuer 120 paysans d'autres villages qui venaient mendier de quoi manger. En repentance, le principal marchand fait construire 120 jizos à l'entrée du village. Mais ce marchand, Eboshiya, sous ses dehors respectables, est une ordure : son fils, responsable des monnaies, rogne sur les nouvelles pièces et lui transmet la poussière d'or. Tout le monde se doute de quelque chose et guette ; les yakuzas règnent, un masseur/espion du shogunat se fait assassiner. L'argent règne partout, pourrit tout, mais Zatoichi se fait un copain, si on peut dire : Sasa, un homme de main du fils d'Eboshiya, un crétin nommé Masagoro. Et puis il y a la pute, Umeno, qui attend que tout le monde s'étripe.

Film funèbre sur la soif de l'or, ce 20e épisode de Zatoichi n'a rien de romantique. Tout d'abord au niveau des combats. Contrairement à son "Sabre du mal", Okamoto refuse ici de faire des scènes de combat trop lisses, ce qui déroute le fan de Zatoichi au début. La première rencontre entre Zatoichi et Sasa est décevante, puisque l'un est bourré et l'autre n'a pas d'épée. Les rencontres qui suivront aussi. Fidèle à sa haine de la guerre (souvenir de sa guerre du Pacifique), Okamoto montre les aspects sales de la violence, les plaies, et surtout la peur, avec ces ronins improvisés qui se cachent comme des merdes derrière un tonneau. Il y a aussi beaucoup de violence sans sabre : épaule déboitée, genou écrasé, etc... Mais ce qui est le plus choquant, c'est l'insensibilité des deux protagonistes principaux, comme cette scène où Sasa et Zatoichi entrent dans la maison du commissaire, trouvent son cadavre et décident de se faire un thé avant de repartir. Pré-tarantinesque ? Pas vraiment, vu ce qui précède, mais déroutant.

La direction d'acteurs est très bonne, notamment pour les seconds rôles. On en regrette presque que Katsu et Mifune écrasent ainsi les autres. Mifune est bien ici, mais tout de même moins intense que dans ses films avec Kurosawa.

Le film est aussi déroutant dans son manque d'empathie pour les personnages. Ils ont tous des choses à se reprocher, et le film appuie dessus de telle sorte que l'on n'a pas envie de prendre parti pour eux. Sasa n'est pas sympathique, ni même Zatoichi. Les méchants sont grotesques ou antipathiques ; même le personnage féminin ne trouve pas vraiment grâce auprès du réalisateur. D'aucun n'aimeront pas et y verront une faiblesse du film. C'est plutôt une force, un parti pris courageux et rare, mais cela demande un effort supplémentaire au spectateur.

Car le film a cependant un problème de rythme, il ne faut pas se leurrer. C'est le deuxième film d'Okamoto que je vois, et j'ai l'impression que le bonhomme prend un malin plaisir à intriquer ses intrigues de manière à dérouter le spectateur. Il y a souvent du montage alterné, par exemple pour sauter d'un dialogue entre deux personnages à un autre, puis retour au premier groupe. La conclusion mérite donc bel et bien le nom de dénouement, mais en chemin certains passages semblent un peu verbeux ou gratuit. Disons qu'un montage moins haché entre les scènes (par exemple avec quelques extérieurs sur le village ?) aurait pu faciliter les choses. Ou plutôt, vu la longueur du film, écourter quelques scènes n'aurait pas fait de mal.

Le duel final est original. Les petits flocons de neige, qui font écho aux paillettes d'or qui s'envolent, sont bien vus, mais c'est surtout l'échange entre Sasa et Zatoichi qui gagne en profondeur sur la fin. Il n'en reste pas moins que le film se conclut sur un constat très amer vis-à-vis de l'humanité : personne n'est épargné, pas même le héros. Aujourd'hui on ne permettrait plus un truc pareil. Dommage.

Pour résumer, c'est un film contre l'argent-roi, assez âpre et sans grâce, avec une bonne direction d'acteur et un message plutôt dérangeant.
zardoz6704
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le 11 mars 2013

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