La ligne verte traite de l'univers carcéral d'une manière très particulière. Les seuls détenus dont on connaît les raison de leur présence dans le couloir de la mort sont John Caffey et Billy Wharton mais le film ne porte pas sur les raisons qui peuvent avoir conduit à leurs condamnations ni même sur leurs condamnations. La ligne verte montre l'humain dans toute sa complexité. Ce film montre l'humanité dans ce qu'elle a de plus beau mais aussi dans ce qu'elle a de plus abjecte.
Pour parvenir à un tel résultat, il faut une distribution remarquable et force est de constater que Tom Hanks mêle adroitement fermeté, douceur, rigueur et compassion ; il faut aussi noter que Michael Clarke Duncan est touchant, émouvant ; il ne faut pas s'arrêter aux têtes d'affiche et mettre en lumière Doug Hutchison qui incarne brillamment la perfidie et le sadisme.
Pour parvenir à un tel résultat, il faut des personnages intelligemment construits et c'est là que la construction des personnages de détenus prend une place prépondérante. La détention a, normalement, deux fonctions. La première est de sanctionner la commission d'une infraction réprimée et la seconde est de permettre la réinsertion du condamné. Dans le cadre d'une condamnation à mort, la mission de réinsertion est strictement impossible. Si la mission de réinsertion est impossible, cette incarcération est un temps pendant lequel le détenu va être amené à réfléchir sur ce qu'il est, sur ce qu'il a fait et ce pourquoi il a été condamné par ses pairs.
Même si on voit peu Arlen Bitterbuck, son repentir et l'évocation de ses souvenirs heureux à quelques instants de son exécution montrent à quel point ce personnage a dû évoluer et à quel point il est différent de celui qui a été condamné. En ce sens, la phrase d'Edouard Delacroix est particulièrement importante : "je regrette de ne pas vous avoir rencontré à une autre époque".
Ce film montre trois exécutions par électrocution (c'est un anachronisme du film, à l'époque présentée, les condamnés à mort en Louisiane étaient pendus) et ce film montre parfaitement la violence et l'horreur du procédé. Néanmoins, ce film ne remet pas en cause la peine de mort parce que la peine de mort n'est pas le sujet de ce film. Les détenus de la ligne verte sont condamnés à mort, chacun des protagonistes le sait et cette échéance brutale est indispensable à la tenue du scénario de cette tragédie qu'est la mort de John Caffey.
Il n'y a rien à faire, John Caffey doit mourir et John Caffey va mourir...Il sait, John Caffey que toute tentative de fuite est une folie qui ne le sauvera pas, il sait. Il saut que Paul Edgecomb veut le sauver mais il sait qu'il échouera et que cela ne plongera que plus de monde dans la souffrance. Il le sait. Son regard est vide dès sa première scène parce que John Caffey est déjà mort, il est mort avec les deux petites filles qu'il n'a pas pu sauver.
La ligne verte est, au final, un film très difficile à décrire ; il peut se définir comme un drame mais les éléments comiques sont trop présents pour être véritablement un drame ; il peut se définir comme un film fantastique mais les éléments fantastiques ne sont pas indispensables au film ; il peut aussi se définir comme une tragédie dans laquelle le héros est John Caffey.
En ce sens, les scènes avec Dabbs Greer sont superflues. Ce que l'on sait du personnage de Paul Edgecomb suffit pour imaginer qu'il va devoir vivre avec le sentiment d'être coupable de la mort de John Caffey, il était inutile de le montrer et encore moins de le dire.
Pour moi, ce film est un chef d'oeuvre du cinéma, un des plus beaux films sur le système carcéral et une ode à l'Humain.