La sortie d'un film iranien est toujours un événement attendu, une occasion quasi inespérée d'apercevoir la société iranienne dans l'entrebaillement d'une porte vaillamment poussée par un réalisateur courageux et suffisamment pugnace pour s'affranchir des carcans gouvernementaux.
Ashgar Farhadi, il y a déjà 15 ans par "La fête du feu" (2006), puis par ses chefs-d'œuvre "À propos d'Elly" (2009) et "Une séparation" (2011), nous proposait de précieuses incursions réalistes et instructives dans son pays natal. Il semblerait que Saeed Roustayi emprunte le même chemin, honorable et nécessaire.
Servi par des comédiens plus vrais que nature (Peyman Maadi par exemple, déjà à l'affiche dans certains films de Farhadi) la "Loi de Téhéran" nous plonge dans l'univers ténébreux du narcotrafique et de la toxicomanie dans la capitale iranienne. Ce fléau prend visiblement et inexorablement de l'ampleur malgré la tenaille policière et moralisatrice imposée par le régime des Ayatollahs.
Le film s'ouvre sur une descente musclée de la police dans une planque laissée vide par ses occupants. La scène évoque immanquablement les productions hollywoodiennes : rythmée, efficace, parfaitement filmée. Elle donne le ton : nous serons tendus, il fallait s'y attendre... Petit à petit, le style devient plus intimiste et l'immersion commence... Le cinéaste nous entraîne au cœur d'une certaine partie de la société iranienne. Celle des laissés pour compte, des miséreux qui tentent d'oublier leur quotidien inhumain en se réfugiant dans des paradis artificiels et toxiques. Celle d'une police dépassée et d'une justice au rabais. Celle des profiteurs qui font contre mauvaise fortune... de gros bénéfices.
Tous les protagonistes se côtoient finalement dans un immense commissariat, véritable cour des miracles... qui n'en verra aucun.
L'Iran est un mystère, une théocratie quadragénaire verrouillant une société aux accents d'Occident... Et il semblerait au regard de ce film que la Peur soit omniprésente. Qui que vous soyez, malfrat ou policier, honnête citoyen ou menteur patenté, enfant abusé ou coquin, par une simple dénonciation, pas même avérée, vous risquez une garde à vue et un séjour traumatisant dans une geôle insalubre... La misère explose, la détresse nous envahit, la mort rôde... C'est oppressant : la pénombre est quasi permanente, les gros plans nous confrontent à des visages barbus inquisiteurs, les voiles accentuent l'inquiétude, la musique se mue en un flot de paroles ininterrompu ... Chacun argumente, justifie ses actions et ses intentions avec une foi dont on se demande constamment si elle est bonne ou mauvaise. Et c'est une autre réussite de ce film : loin de tout manichéisme, il ne permet pas de prendre parti. Ceux que l'on pense être du bon côté nous laissent apercevoir leurs zones d'ombre condamnables et ceux que l'on croit justiciables se justifient avec une telle conviction que nous devenons magnanimes.
À travers cet agregat de destinées, immergés dans la dénonciation efficace d'un système défaillant, nous nous reconnaissons à travers ces personnages universels, emplis de paradoxes et de contre-sens... D'après ce talentueux cinéaste qu'il faudra suivre, l'homme est parfois soumis mais sa nature reste incontrôlable, politiquement ou religieusement, pour le meilleur sans doute, mais vraisemblablement aussi pour le pire...

Jimbodo
8
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le 8 sept. 2021

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Jimbodo

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