Bien qu’on l’oublie généralement, c’est pour ce film que le réalisateur de Vacances romaines a obtenu la palme d’or au festival de Cannes 1957.


Jess Birdwell (Gary Cooper, présence indéniable) est le chef d’une famille de Quakers. Nous sommes en 1862 dans le sud de l’Indiana où cette famille vit encore paisiblement dans une ferme. Dès le générique de début (charmantes mosaïques composant des paysages bucoliques aux jolies couleurs), on sent que le film ne se contentera pas de plates illustrations d’un sujet peu enthousiasmant. Les Quakers ? Des gens qui refusent toute agressivité. « Aucun homme n’est mon ennemi » dit Jess Birdwell. On fuit donc les plaisirs, sources de corruption de l’âme. Ceci dit, le monde est ce qu’il est, fait d’innombrables tentations et de confrontations avec la réalité des hommes. Et si les Birdwell vivent selon les principes Quakers, notamment en assistant aux réunions à l’écart de l’église Méthodiste, les aspirations des uns et des autres vont semer le trouble (un trouble certes bien prévisible, mais que Wyler sait toujours mettre en scène de façon à rendre le film agréable et réjouissant, sans réel moment faible où l’attention du spectateur se relâcherait).


La description du mode de vie Quaker s’intègre bien à l’action. La vie à la ferme est celle d’une famille saine, le plus jeune ayant des démêlés amusants avec l’oie, étonnant animal de compagnie. La cadette est une adolescente qui se demande si elle peut plaire aux garçons, notamment à Gard le fils du voisin (attrait inconscient pour l’uniforme ?) Quant à l’ainé, il a le physique avantageux du tout jeune Anthony Perkins pas encore marqué par le rôle de Norman Bates dans Psychose malgré une dégaine et des attitudes typiques.


La réunion Quaker est troublée par l’irruption d’un personnage annonçant l’approche des soldats rebelles. Il reproche ostensiblement aux Quakers de profiter de la vie quand leurs voisins se battent et meurent pour défendre la région. Quelle attitude adopter pour ces Quakers convaincus ? Que valent leurs convictions confrontées à la réalité ?


D’autre part, la famille Birdwell a l’occasion de voir ses principes confrontés avec la réalité d’une foire locale. Avec le bruit, la foule, l’agitation et les sollicitations diverses, chacun se laisse un peu aller, croyant que les autres membres du clan ne seront jamais au courant des petites faiblesses des autres. Des faiblesses aux conséquences imprévisibles.


Plus tard, Jess Birdwel va vendre ses arbres fruitiers (à l’occasion, il en fait du petit bois) à ses clients habituels accompagné par son aîné. La situation vire à la comédie (genre lourdaud), puisque Birdwell est accueilli par une femme à poigne dont les 3 filles voient le garçon comme une proie à leur goût : de vraies Walkyries !


Pour ce qui est du précepte de non-violence qui voudrait la mise à l’écart de toute forme de compétition, il est mis à mal de bout en bout. On assiste par exemple à une course entre deux attelages qui préfigure assez bien ce que Wyler illustrera de manière plus spectaculaire dans Ben-Hur. A noter que la première de ces courses utilise un des nombreux ponts typiques des Etats-Unis (avec un cadre en bois comme celui visible dans Sur la route de Madison). Wyler l’utilise intelligemment en montrant comment un attelage peut « fermer la porte » à un autre plus rapide mais qui n’a pas trouvé l’ouverture pour se placer à côté du poursuivi et accélérer.


La loi du Seigneur est surtout illustrée par « Tu ne tueras point » l’un des commandements issus de la Bible. On est aux États-Unis, pays où l’usage des armes à feu s’est banalisé. On ne connaît pas le passé de Birdwell. Tout juste si on apprend qu’il a courtisé sa femme Eliza (Dorothy McGuire) une vingtaine d’années auparavant et que dans d’autres circonstances elle aurait pu danser. On remarque qu’à la foire, quand on lui met un fusil entre les mains, Jess touche deux fois le canard qu’il vise.


Le film est sans doute trop schématique, le bel idéalisme Quaker étant confronté aux corruptions en tous genres. Dans l’assemblée Quaker, les hommes sont habillés de noir et sont recueillis, les femmes restant de leur côté. Aucune personne pour diriger l’assemblée mais plusieurs pasteurs dont la femme de Jess. Chacun à son tour peut prendre la parole, en se levant et en parlant respectueusement. Quand celui qui vient interrompre la réunion provoque l’assemblée, un homme à la barbe et au visage digne d’Abraham Lincoln s’oppose vivement à Jess, doutant de la foi de son fils qui affirme clairement qu’il doute que son devoir soit de rester assis là quand d’autres se battent. Quand le ton monte, le plus agressif est celui qui s’acharne à prôner la non-violence. De plus, les Quakers ne sont confrontés à la guerre de Sécession qu’au « bon » moment. Cette guerre n’est présentée que dans l’optique des dilemmes soumis aux Quakers et l’esclavagisme est à peine effleuré.


La musique de Dimitri Tiomkin ne restera pas dans les annales. D’autre part, le titre français est assez réducteur, le film (titre original Friendly persuasion) ne se contentant pas d’un simple préchi-précha. Bien qu’étant l’adaptation d’un roman (de Jessamyn West), le film porte la marque de son réalisateur, notamment dans sa façon d’inciter le spectateur à se poser la question de son positionnement en cas de conflit. La guerre est-elle une calamité évitable ou bien la conséquence de la nature humaine qui crée des conflits parce que l’esprit de compétition entraine des désaccords et des déséquilibres ? La non-violence est-elle LA solution ? Comment un individu, même convaincu, peut-il l’assumer ?

Electron
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le 29 mars 2014

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