Première critique, écrite en 2009:


Aïe. Non, pas caramba. Aïe tout court. Celui de la déception. Ma femme, heureuse de découvrir chez moi un enthousiasme quasi juvénile pour le dernier Almodovar (Étreintes brisées) a cru bon de me faire partager sa propre adoration pour la filmographie du grand Pedro. Souvent nous partageons ce genre de petits délices cinéphiles. Malheureusement ici le phénomène ne s'est pas reproduit. Aïe donc.


Ce que je pointais dans mon avis sur Los Abrazos rotos, cette propension chez Almodovar à produire un cinéma volontiers outrancier (et qui m'avait semblé absent des Étreintes) m'a encore une fois paru beaucoup trop présente ici. Ce n'est pas tant l'outrance esthétique que la manière dont elle est amenée et traitée. J'ai trouvé La loi du désir par moments pas très bien écrit, présentant les situations de façon abrupte, assez grossière (l'amnésie qui amène la sœur a révélé un passé enfoui et douloureux, mouais...).


Au contraire j'ai bien aimé l'active respiration amenée par l'apparition vers la fin du film, d'une trame policière, qui relève, épice une intrigue ronronnante jusqu'alors : une pincée d'action et tension salutaire. Sans doute que les personnages et leur histoire n'ont pas éveillé en moi des flammes d'émotion : tout ce charabia pour dire que je n'ai pas été touché par le film.


Nouvelle critique 2016:


7 ans de réflexion plus tard, cette exubérance almodovarienne tant décriée, je l’ai apprivoisée et appréciée avec autrement plus de plaisir qu’en 2009. Je peux même confesser que cette année je recherche avec gourmandise cette outrance. Elle me paraît aujourd'hui familière, un jeu entendu, sérieux sous ses airs frivoles, mais très important pour embrasser totalement le cinéma d’Almodovar. Difficile de me faire comprendre. Je suppose que le jeune homme que j’étais, fringant et alerte en 2009 n’aurait pas compris ce que le vieillard de 2016 essaie de lui communiquer maintenant.


Disons que le chromatisme pétaradant, la mise en scène baroque, les costumes on ne peut plus extravagants, cette culture punk qui transpire d’un bout à l'autre de ses films, et pour finir, une écriture très libre mais toujours en équilibre entre la farce et la tragédie, toutes ces facettes caractérisent un cinéma plus profond qu’il ne semble de prime abord.


Aujourd’hui que j’ai vu plusieurs films de ce cinéaste, cette revoyure consolide ma conviction qu’Almodovar est un des plus grands artistes contemporains, un écrivain hors pair, un directeur d’acteurs incroyable capable d’animer une scène avec des éléments disparates pour raconter pourtant une histoire des plus complexes, avec toujours une très grande délicatesse, une ouverture d’esprit exemplaire, bref une humanité qui ne cesse de faire mon admiration.


Son cinéma hautement moral a une vue tout aussi élevée de l’humain, une perspicacité vis à vis de la complexité de nos existences, sans porter de jugements de valeur à l’emporte-pièce, attitude récurrente chez le premier connard venu. Toute la noblesse de Pedro Almodovar est dans cet élan naturel à braver avec un si grand panache les périls communs, les emmerdes du quotidien aussi bien que les catastrophes qui peuvent nous tomber parfois sur le coin du museau. Je me rends compte que tout ce blabla pourrait aussi bien être écrit pour ce film-ci que pour un autre du cinéaste. Mais c’est désormais le genre de considération qui me vient à l’esprit après avoir visionné n’importe lequel de ses films.


Alors, essayons de nous focaliser sur celui-là. J’ai revu Volver il y a peu et je remarque que cette “loi du désir” a bien des traits communs avec beaucoup de films d’Almodovar, et bien au delà de la distribution. Il y a un suspense, une tension qu’on retrouve toujours plus ou moins dans ses films. L’influence hitchcockienne est évidente également sur certains plans paraissant dessinés, découpés comme savait le faire Hitchcock, ajustant les cadres avec astuce. Je pense à l’accident par exemple.


La manière dont les personnages sont heurtés pour leurs sentiments, la façon dont ils luttent, naturellement, contre le regard social, comment la cellule familiale est au cœur des relations, choisie, tout cela fait irrémédiablement songer à Douglas Sirk.


Ici, c’est Jean Cocteau qui est cité à plusieurs reprises. Je connais peu. De fait, j’ai été moins enclin à en comprendre la portée. De façon générale et dans ce film en particulier, on note que l’amour du cinéma est omniprésent. Il joue nettement du cadre, des mouvements de caméra. Quand Carmen Maura passe sous le jet d’eau dans la nuit madrilène, n’est-elle pas une nouvelle Anita Ekberg? Quand la caméra en contre-plongée capte la fièvre de l’écrivain en train de taper sur sa machine à écrire, au travers du clavier, ne fait-elle pas référence à celle du conducteur au volant de son bolide dans “Extase” de Machaty?


Au delà du cinéma, l’art pictural ou sculptural est sollicité à de nombreuses reprises : Nighhawks de Hopper est reproduit, facilement identifiable. N’y a-t-il pas de la pietà devant l’autel dressé pour la vierge Marie quand Eusebio Poncela prend Antonio Banderas dans ses bras à la toute fin ?


Ces clins d'œil à l’adresse du spectateur, loin de grossir le trait, ne le font pas sortir du film mais participent de ce lien intime qu’Almodovar tisse entre l’histoire et le public. La narration gagne en signification, avec subtilité et une sorte de grâce poétique se dévoile, tout doucement mais sûrement.


Dans le jeu, Carmen Maura tient le haut du pavé. Elle a un rôle formidable de richesse. Entre son passé pas définitivement digéré mais devenu substantiel de sa personnalité et la passion un peu diva pour son métier d’actrice, ce rôle est foisonnant, navigant en eaux agitées, où les remous de l'âme sont fréquents et donnent du relief au talent de la comédienne.


Antonio Banderas est une nouvelle fois marqué à la culotte par la folie. Almodovar semble apprécier sa petite gueule de jeunot passionné au regard très inquiétant. Abonné aux psychopathes, Banderas est impeccable, toujours propre, sans fioritures, malgré un rôle sur le fil du rasoir, ne tombant jamais dans la caricature. Vraiment excellent, il maintient son personnage entre puissance et fragilité.


Face à lui Eusebio Poncela est plutôt pâlichon. La comparaison est rude. Il n’est pas non plus mauvais, mais il manque sans aucun doute de coffre malheureusement et reste en retrait par rapport à Banderas et Maura.


Hier, je repoussai tristement la coupelle ; aujourd’hui je bois le calice jusqu’à la lie et d’un coup de langue, à l’image de Rossy de Palma, je me pourlèche les babines pour ne pas en omettre une seule goutte.


http://alligatographe.blogspot.fr/2009/05/la-ley-del-deseo.html

Alligator
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le 17 juin 2016

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