La cinquantaine bien marquée, un physique aussi trapus que son charisme est animal, l'inestimable Vincent Lindon est sans conteste l'un des derniers grands monstres d'un septième art hexagonal ayant toujours la fâcheuse habitude de (très) mal célébrer ses héros.


Fort d'une carrière exceptionnelle menée d'une main de maître, le bonhomme s'échine à faire de chacun de ses passages dans les salles obscures, un rendez-vous à part entière pour les cinéphiles.


Après le très bon mais pourtant critiqué Journal d'une Femme de Chambre signé Benoit Jacquot, le voilà de retour quelques semaines plus tard et pour la troisième fois devant la caméra de Stéphane Brizé, avec La Loi du Marché.


Un drame social qui se paye le joli luxe de figurer en compétition officielle au Festival de Cannes, rien que ça.


Rappelant un brin dans son pitch, le récent et coup de poing Jamais de la Vie de Pierre Jolivet, La Loi du Marché suit le quotidien difficile de Thierry, un quinquagénaire désabusé et englué dans la galère du chômage.
Entre son procès d'avec son ancien employeur, ses formations/entretiens d'embauches menant nul part et la volonté d'offrir un avenir scolaire à son enfant handicapé, il va d'échecs en humiliations.


Jusqu'à ce qu'il trouve une place de vigile dans un hypermarché...


Brillant drame social et politique dans la droite lignée du cinéma engagé et renversant de Ken Loach et des frangins Dardenne, La Loi du Marché offre une plongée sans concession dans le quotidien d'une France socialement agonisante, une osculation brutale et dure du milieu du travail et de sa précarité.


D'un réalisme confondant, filmé à vif façon documentaire avec ces longs plans-séquences silencieux - pour la majorité - et étouffants (authenticité des acteurs amateurs en prime), porté par des scènes méchamment douloureuses (les moments d'humiliations sont légions) ne tombant pourtant jamais dans le misérabilisme facile, le film de Stéphane Brizé - de loin son plus beau - provoque de tout son long aussi bien la fascination que le malaise chez son spectateur.


Une expérience malaisante parce que terriblement vraie et perverse, le cinéaste plaçant son antihéros - toujours digne et debout malgré les nombreux coups qu'il encaisse sans broncher -, en tant qu'observateur privilégié d'un système profondément inégal dont il est lui-même, également, une victime.


Singulier, universel, puissant et pointant du doigt avec pertinence tous les maux - ou presque - du monde du travail contemporain et même de notre société, l'impact qu'incarne la vision de La Loi du Marché serait cependant moindre sans la prestation ahurissante d'un Vincent Lindon en tout point époustouflant.


Crédible, humble et d'une justesse folle, s'effaçant avec intelligence derrière son personnage pour l'incarner corps et âme, ce " monsieur tout-le-monde " pourtant unique et sans équivalent dans le cinéma français, en impose et représente sans hésitation l'attraction première de ce regard radical et actuel de la France d'aujourd'hui.


Mieux, les frangins Coen et leur jury d'exception, seraient plus qu'avisés de ne pas laisser l'acteur repartir de la Croisette les mains vides...


Jonathan Chevrier

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le 19 mai 2015

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