Quand on parle de cinéma social, on ne peut s'empêcher de penser aux frères Dardenne ou à Ken Loach. Ici, le réalisateur a réussi à trouver sa propre manière de filmer les conflits moraux et les injustices sociales : une succession d'instants de vie filmés de façon ni trop proche, ni trop lointaine, comme pour garder une certaine distance avec l'objet de son propos. Tout est triste : les décors, les personnages, la façon de filmer. J'ai ressenti un profond malaise, je me suis senti voyeur, scrutant la vie de Thierry mais surtout ses déboires, les moments de grâce étant tellement rares.
Pour moi, le cinéma, c'est faire rêver, créer des émotions, dénoncer. On a tous une vie de merde, certains plus que d'autres, et là j'avais un sentiment d'impuissance, à regarder cet homme essayer de s'en sortir tant bien que mal, à faire son travail en défiant ses propres valeurs parce qu'il faut bien subsister, et qu'on a beau être profondément humaniste on en reste pas moins humain justement, et qu'il faut parfois servir ses propres intérêts avant ceux de la société.
Vincent Lindon est spectaculaire dans ce rôle, entouré d'acteurs anonymes qui le sont tout autant. On oublie qu'ils jouent, tant les scènes et le jeu sont naturels, tant ils sont parvenus à recréer des instants de vie au plus proche du réel. Vincent Lindon n'est plus acteur, il est spontané, sincère, il gomme tout ce qui le lie à l'industrie du film pour devenir un citoyen moyen, dans ce qu'on pourrait finalement qualifier de documentaire.
Une belle performance d'acteur(s) donc, dans un film âpre d'indignation et de colère où l'ennui rejoint la tristesse.
Pour anecdote, le réalisateur raconte l'interpellation dans un supermarché d'une dame d'une cinquantaine d'années qui avait volé un mascara et une carte postale. Elle hurlait dans la salle à l'agent de sécurité noir : "Vous comprenez ce que je vous dis ? Non ? C'est normal parce que vous n'êtes pas de la même race !" Puis elle dit au réalisateur qui assistait à la scène : "Et l'autre Portugais, qu'est-ce qu'il a à me regarder ?". En sortant de la salle, elle hurlait : "Vive Marine !"