La Main du diable de Maurice Tourneur est une oeuvre très importante du cinéma classique français des années 1940. Nous allons tenter de comprendre un peu mieux ce qui fit les spécificités et le succès du film à l'époque de sa sortie. Le récit présenté est le suivant :
"Des clients sont rassemblés dans la salle du restaurant et discutent. Tout d'un coup, un étrange individu fait irruption. Il a ce qui ressemble à une boîte à chaussures sous le bras, n'a pas de main gauche et paraît avoir le diable à ses trousses. Suite à une coupure de courant, la boite à chaussures disparait. Les clients le pressent de raconter son histoire."


Le cinéma est devenu sonore en abandonnant peu à peu le muet à partir de 1930 avec la sortie du tout premier film parlant intitulé Le Chanteur de jazz. L'émergence du parlant n'a certes pas conquis tout le monde à ses début, voyant l'arrivée de ses partisans comme celle de ses détracteurs. Pour citer un exemple, le réalisateur René Clair estiment que les films muets sont tellement expressifs que le son n'est absolument pas utile. Cette nouvelle dimension va pourtant s'avérer très utile pour faciliter la compréhension de la narration du récit mais également pour amener à l'émergence de nouvelles pratiques.
L'un des concepts émergeant de cette période est l'utilisation du flash-back au sein d'un long-métrage. Ce principe permet d'exposer un souvenir d'un personnage dans un récit. Le cinéma devenant parlant, la situation des différents caractères par rapport au flash-back peut être expliquée oralement. Il n'y aura plus spécialement le besoin d'avoir recours à divers procédés visuels pour expliquer l'action qui est en cours sous les yeux du spectateur. Etant donné qu'un processus comme celui-ci peut être compliqué à démontrer dans un film muet, nous pouvons réellement considérer que son apparition est fortement liée à l'arrivée du parlant au cinéma.


Dans le film La Main du diable de Maurice Tourneur (qui est le père du légendaire cinéaste Jacques Tourneur), le flash-back se retrouve au centre du récit étant donné que l’histoire est majoritairement racontée par le personnage du manchot. La transition entre le passé et le présent s'effectue à partir de fondu au noir. Le flash-back permet ici une certaine identification au protagoniste par le spectateur de cinéma car il pourra suivre son développement jusqu'à son arrivée au bar et ainsi comprendre ses agissements. Son utilisation permet de reconstruire « les pièces du puzzle d'un récit ». Il est également intéressant de souligner le fait que le personnage principal du film est à plusieurs reprises le narrateur interne du récit avec la présence la « voix off » qui est la sienne. Ceci prouve encore une fois que l'arrivée du son coïncide assez bien avec ce concept au cinéma.


Un second concept fortement présent dans le milieu du cinéma durant cette période de l'histoire serait sans aucun doute la présence d'une dualité dans la structure sociale. Cette idée fit son apparition avec le cinéaste Jean Renoir qui s'est grandement intéressé aux divisions sociales de la société dans laquelle il vivait. Cette vision est assez présente au sein de ses différentes œuvres cinématographiques. La critique sociale étant la clé d'un grand nombre de récit de l'époque, les riches seront assez mal représentés contrairement aux personnes plus pauvres qui, elles, sont plus humaines dans leur représentation à l'écran. Le spectateur ressentira donc une empathie bien plus forte pour ces derniers étant donné que l'avarice du milieu bourgeois est dénoncée de manière assez négative.


Dans La Main du diable, cette vision est incarnée par le personnage principal : Roland Brissot. Ce dernier est un peintre assez pauvre qui ne parvient pas à percer dans le milieu mais qui a de réelles motivations artistiques qui le poussent à avancer. Cependant son pacte avec le Malin le fera sombrer dans cet esprit d'argent, de vanité et d'égoïsme du milieu bourgeois où il en faut toujours plus. Le long-métrage va ici montrer à quel point le personnage se retrouve perverti par le don qui lui a été conféré et qui lui fait gagner massivement de l'argent. Il se rend compte plus tard que tout cela a un prix. Le cinéaste utilise une intrigue stéréotypée pour démontrer ses idées. Les bourgeois sont ici représentés comme des personnalités ne cherchant que le profit.
Prenons pour exemple cette séquence où le personnage principal explique à Irène qu'il n'arrive pas à décrocher de contrat avec de grosses galeries d'art car celle-ci ne recherchent qu'à remplir un maximum les caisses ne laissant ainsi aucune chance aux petits peintres débutants. La montée d'égoïsme du protagoniste se verra guidée par l'idée du mensonge car il ne cesse de mentir au fur et à mesure du récit concernant ses soit disant dons. Grâce à sa nouvelle main, il bluffe non seulement Irène (personnage proposant un schème de "femme émancipée"), qu'il rend amoureuse, mais aussi tout son public qui aime ses nouvelles peintures. Le long-métrage dénonce ainsi subtilement le mensonge, la corruption, l'égoïsme et l'égocentrisme présent au sein de la bourgeoisie et ce tout en créant une division certaine par rapport aux gens de classes sociale « faible ». Cette critique peut sembler très manichéenne mais comporte son lot d'éléments intéressants.


La Main du diable de Maurice Tourneur est donc une oeuvre très intrigante qui, si elle a fait ressentir le poids des années à certains moment, n'aura rien perdu de sa superbe et reste un métrage très prenant à visionner encore aujourd'hui.

Créée

le 9 mai 2020

Critique lue 88 fois

1 j'aime

Critique lue 88 fois

1

D'autres avis sur La Main du diable

La Main du diable
voiron
8

Critique de La Main du diable par voiron

La Main du diable est l’adaptation par Maurice Tourneur d’une nouvelle de Gérard de Nerval (La Main enchantée) publiée en 1832. Basé sur le mythe de Faust, le drame est transposé dans les années 40...

le 24 oct. 2017

46 j'aime

16

La Main du diable
limma
9

Critique de La Main du diable par limma

Maurice Tourneur met en image la nouvelle «La main enchantée» de Gérard de Nerval et réserve une ambiance particulière et réussie. Le fantastique est d’autant plus marquant qu’il nous éloigne des...

le 18 avr. 2017

16 j'aime

7

La Main du diable
MrOrange
8

L'histoire de Faust à travers les âges.

Le charme du genre fantastique d'antan opère comme toujours chez moi, avec ses personnages secondaires curieux avides de faits surnaturels, ses protagonistes cupides mais inquiets, et la simplicité...

le 24 févr. 2014

13 j'aime

3

Du même critique

À couteaux tirés
Vladimir_Delmotte
4

Prétentieusement vide

Critique rapide de "À couteaux tirés" : J'ai conscience que cet avis sera impopulaire. Je ne comptais pas écrire d'avis sur ce film néanmoins je ne vois que très peu de critiques négatives donc je...

le 4 déc. 2019

70 j'aime

11

Doctor Sleep
Vladimir_Delmotte
3

Singer l'Auteur

Précisons avant toute chose que cette critique sera 100% spoilers vous voilà dés à présent prévenu.Doctor Sleep réalisé par Mike Flanagan est un projet pouvant offrir autant de fascination que de...

le 24 mai 2022

47 j'aime

1

Ça
Vladimir_Delmotte
3

Pennywise flotte à son tour dans les lumières mortes

J'ai attendu ce film des années et des années durant. Le livre de Stephen King est le livre m'ayant le plus marqué dans ma vie et est mon oeuvre littéraire préférée. Cet ouvrage offre des thématiques...

le 7 sept. 2017

47 j'aime

10