Premier film et premier coup de maître pour le prometteur Thomas Kruithof : La mécanique de l'ombre met remarquablement en évidence ( non seulement par l'éloquence de son titre programmatique mais également par sa brillance scénaristique et sa précision technique ) l'incroyable noirceur des arcanes de l'espionnage. Le réalisateur parvient à insuffler à ce thriller impeccable un formidable climat anxiogène tout en construisant son film à la manière d'un gigantesque et vertigineux puzzle.


Offrant à François Cluzet un rôle pratiquement sur mesure ( sorte de croisement du personnage de Ne le dis à personne et du héros pathétique de A l'Origine ) Thomas Kruithof prend le temps d'introduire son protagoniste sans quasiment rien nous révéler de son passé ni de son intériorité : modeste employé de bureau, austère et scrupuleux Duval reste une figure filmique presque uniquement ancrée dans le "ici-maintenant" du métrage. Exécutant d'abord docilement puis finalement à contre-coeur le cahier des charges du mystérieux Clément ( Denis Podalydès, impressionnant d'impassibilité glaciale ) ce petit monsieur sans histoires nous laissera humblement suivre sa pernicieuse surveillance, oppressante et intrigante affaire de complot politique.


Les références du film sont à la fois nombreuses et très intelligemment digérées par Kruithof et son co-scénariste ( l'excellent et méconnu Yann Gozlan, déjà auteur des très réussis Captifs et Un Homme Idéal...) : on pense évidemment au chef d'oeuvre Conversation Secrète de Coppola mais également au cinéma de Brian De Palma, à celui d'Hitchcock et au terrifiant Locataire de Roman Polanski pour l'atmosphère paranoïaque. Jouant élégamment sur l'épure et sur une écriture savamment pensée en amont du tournage le film nous en apprend autant qu'il en apprend au personnage de Duval : on se trouve ainsi lentement mais sûrement pris dans ce sombre engrenage au coeur duquel ce monsieur-tout-le-monde se trouve insidieusement mêlé.


Le film parie davantage sur les questionnements et les zones d'ombres que sur un canevas narratif attendu et une structure standardisée : un montage passionnant, formé d'ellipses, de parallélismes et d'alternances ; une narration jouant énormément sur une bande-son toujours au service du récit ( bruitages pertinents, voix-off conduisant par moments l'intrigue...). Un mot également sur la composition musicale originale du film, magnifique et inquiétante, qui accompagne admirablement ce brillant polar kafkaïen. A ne pas manquer !

stebbins
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le 24 janv. 2017

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stebbins

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