Jean-Pierre Léaud en Roi Soleil : voilà, il ne m’en fallait pas plus pour aller voir ce film. Ou la rencontre de l’acteur génial de sincérité, de naturel, de simplicité, avec l’un des personnages les plus grands et les plus éculés de l’histoire de France. On a raconté mille fois Louis XIV ; on en a fait des films, des bouquins, des chansons, des comédies musicales ; je ne doute pas qu’il y ait aussi des bandes dessinées, romans photos, mugs, ou tapis de souris à son effigie. Ouais, Louis XIV est devenu populaire ; il est limite devenu kitsch.
Alors La Mort de Louis XIV a déjà le mérite de proposer une approche inédite du personnage : sa seule agonie, ses derniers jours dans la maladie. Mais ce n’est pas tout. D’abord il y a Léaud, et Léaud surprend ; il surprend dans le rôle de ce vieux papy gâteux, tantôt touchant, tantôt comique, les deux malgré lui. Il faut un geste à Léaud pour camper le personnage, lui donner une sincérité impossible, comme dans cette scène d’introduction où on le voit avec ses chiens, où on le voit aimer ses chiens : une caresse sur l’animal et on connaît déjà le personnage. Et puis il y a cette main qui tremble en tenant les verres d’eau ; les râles anti-cinématographiques, si réels, si naturels, les bougonnements aussi. Ce n’est pas juste jouer le personnage ronchon, fatigué ; c’est incarner l’agonie dans ce qu’elle a de plus vrai : ses bassesses, ses absences de solennité - car le cinéma, et en particulier le cinéma populaire, exagère souvent la beauté des scènes de mort, insufflant presque du lyrisme ou de l’épique dans les instants les plus organiques. Rien que pour ça, l’interprétation de Léaud mérite d’être soulignée. (D’autant qu’il s’agit là d’un rôle de composition, presque en marge du reste de sa filmographie pourrait-on dire.)
Bon, et puis il y a encore la réalisation. Albert Serra propose un huis-clos des plus intimistes ; l’essentiel du film se passe dans la chambre du Roi ; tous les plans sont fixes, les gros plans abondent. Le silence est voulu : aucune musique à deux exceptions près. Les acteurs ne parlent pas ; ils murmurent presque. La chambre de Louis XIV baigne dans une atmosphère de recueillement, de deuil anticipé, de respect solennel et muet. La lenteur est assumée ; un parti pris que j’accepte, sauf peut-être pendant la première demi-heure, lente trop tôt. (Un decrescendo rythmique, dans la narration, aurait peut-être permis d’ajouter un peu plus de relief au film.) La partition reste cependant honorable ; la réalisation ne vise pas à l’originalité, mais bien à la propreté, à la netteté, au soin.
Alors, il y a l’agonie haletante, la longue agonie, soulignée du seul effet qui la masque : la lenteur. Les médecins sont géniaux, entre charlatanisme, erreurs de diagnostic, et volonté de bien-faire. La figure du médecin malgré lui, de Molière, est elle aussi en train de mourir, au profit de médecins d’un autre genre, plus modernes, plus cartésiens, plus honnêtes peut-être, mais encore maladroits.
Et puis il y a cette dernière réplique de Fagon (médecin du Roi), sur laquelle s’achève le film, très comique, bien sincère, absolument douloureuse :
Messieurs, nous ferons mieux la prochaine fois.