Voilà un petit monument fantastique de ce surdoué du cinéma qu'est David Cronenberg, qui a réussi la performance de restituer avec un talent extraordinaire, le crescendo de monstruosité d'une métamorphose d'homme en insecte, sans la débauche de moyens techniques disponibles aujourd'hui. mais en allant chercher dans sa mémoire ancestrale et reptilienne, tous les ingrédients de son imagination inventive et débridée.
L'idée étant de mettre en évidence la part d'animalité que l'humain porte en lui et son combat pour la dominer ou l'apprivoiser.
La trame du scénario est simple : Seth Brundle, inventeur au corps athlétique et au regard de mouche (ce dernier point n'engage que moi), séduit une jolie journaliste Véronica, avec l'arrière pensée de l'amener à coopérer à ses expériences de téléportation d'objets d'un telepod à un autre, dans son laboratoire de savant fou. Sa machine infernale fonctionne parfaitement avec des objets inanimés, mais le résultat sur des êtres vivants, est plutôt catastrophique : un pauvre babouin en fait piteusement les frais, étalé au sol comme un filet américain. Un tout petit détail anodin, presque invisible va enrayer le processus : une mouche qui volette gaiment, dans ce huis clos resserré sur les personnages.
L'obstination du chercheur va le pousser à tenter l'expérience sur lui-même... mais la petite mouche espiègle, entre à son insu dans le télépod... Aie !
Le processus va s'enrayer... tandis que l'ordinateur insensible, continue imperturbablement ses algorithmes, indifférent au drame qu'il engendre.
Le destin de Seth est alors inexorablement en marche vers le pathétique, et son évolution vers la monstruosité, est teintée d'un certain lyrisme de l'horreur. Le corps prend toute la place maintenant sur l'écran et dans notre regard épouvanté, indépendamment de sa volonté et nous fait subir le spectacle assez répugnant d'un cocktail de fluides en tout genre, de doigts juteux, d'oreille pourrie, de dents et d'ongles qui tombent, de jus de mouche au vitriol et autres fantaisies organiques dont le héros fera d'ailleurs bizarrement un musée....
On peut se réjouir de la fin libératrice de ce joli conte, puisque dans une explosion fracassante de vitres, la Bête vient chercher la Belle... et NON ! Ils n'auront pas du tout de bébés-larves........
Ensuite, dans un battement d'aile, le spectateur pourra prendre le train de la nuit, pour de délicieux cauchemars !
(Pour la petite histoire, Chris Wallace, peu connu à l'époque, l'alter ego de Cronenberg dans la concrétisation de ses fantasmes, décrocha l'oscar des effets spéciaux pour ce film.
C'est Cronenberg lui-même qui joue le rôle du gynécologue accoucheur du bébé-larve...
Quant à la musique en parfaite osmose avec le récit, elle est signée de Howard Shore méconnu à l'époque, mais compositeur du film le seigneur des anneaux)