Après un imposant et charismatique "Gran torino", l'engouement de retrouver Clint Eastwood devant et derrière l'objectif efface aisément la crainte de le voir s'embourber dans le marasme d'une hypothétique sénilité naissante.


Sans décevoir totalement, difficile de sortir convaincu de cette mule, qui, comme son protagoniste, a du mal à faire face aux enjeux sociétaux de l'époque. On peut pardonner facilement le caractère déjà suranné des cartels de drogue ultra stéréotypés et de ses soirées de luxure où un simple transporteur peut devenir le meilleur copain d'un chef de cartel aussi goguenard que naïf (surtout après les bonnes œuvres en la matière, type "narcos"), les innombrables facilités scénaristiques (pourquoi le pick-up d'Earl n'est-il pas fouillé lors de la nuit au Motel, pourquoi son contact initial n'informe pas le cartel de sa présence à l'enterrement de son ex-femme ? et bien d'autres incohérences qui ne font que grever notre capacité d'immersion dans le récit).


Difficile en revanche de fermer les yeux sur l'insuffisance des enjeux scénaristiques, la flagrante faiblesse narrative des personnages secondaires, le manichéisme total des 30 dernières minutes (l'amical et compréhensif cartel devient un gang caractériel et arbitraire, la consternation familiale à l'égard d'Earl se mue en une empathie de tous les instants...) et du dénouement, poussif et convenu d'un procès a l'issue attendue... sauf pour la piètre avocate de la défense. Dommage car il y avait probablement matière à opposer sa rédemption personnelle aux conséquences collectives de son avilissement.


Il me restera cependant de cette séance une chaude sensation de tendresse pour notre tant admiré Clint qui sait garder face et malice dans une Amérique qui le dépasse et qu'il ne se gêne pas pour juger, avec autant d'aplomb que de fatalisme.


Moins personnel que "Gran Torino", "The mule" n'en demeure pas moins un oeuvre sincère et suffisamment cathartique pour mériter sa place dans le panthéon de la filmographie Eastowwodienne.


Du fin fond de sa vieillesse carcérale, Clint peut prendre ses quartiers l'esprit léger. Les fleurs de son oeuvre, uniques et intemporelles, sauront toujours trouver des insatiables cinéphiles pour les butiner et se délecter de leur précieux et fertile nectar.

DannyMadigan
6
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le 10 févr. 2019

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Paul Clerivet

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