La Mule signe le retour de Clint Eastwood devant la caméra, 10 ans après Gran Torino, que beaucoup ont analysé comme un film crépusculaire, testamentaire.


Avec ce nouveau long métrage, la star américaine revient sur des thématiques Eastwoodiennes chères à son cœur, les laissés pour compte, ceux qui ne semblent plus intéresser la grande Amérique en déclin. Mais La Mule c'est surtout une nouvelle façon pour le réalisateur de venir se raconter, de s'expliquer à ses contemporains, ceux qui ne l'ont pas toujours compris, lui ont reproché certains de ses excès, ses paroles pas toujours très adroites et parfois même borderline. Clint est un incompris comme tant d'autres, qui a pourtant toujours quelque chose à nous dire. Ce n'est pas parce que l'on vieillit que l'on devient sénile, et que l'on doit s'effacer face à la jeunesse.


Le temps fait son travail, et le corps de l'acteur en est le principal sujet. Il y a quelque chose qui se dégage de la raideur d**'Earl,** le personnage joué par Eastwood, son incapacité à se mouvoir, les traits de son visage sont désormais plus que marqués.
Contrairement à Gran Torino, La Mule ne pose pas le même regard sur cette dégénérescence, la caméra n'est pas aussi dure avec lui, et la lumière se fait plus douce. Clint a un corps, une présence qui ne semble pas vouloir s'éteindre malgré le temps.
Il s'amuse d'ailleurs en venant opposer un flashback censé se passer 12 ans avant l'action du film, où son physique déclinant se fait déjà ressentir, puis enchaîne avec un retour dans le présent en nous montrant une nouvelle fois son corps, qui semble avoir encore plus perdu de sa splendeur, de son énergie.
Ce corps, ce visage font partie de la légende de l'acteur-réalisateur, on se souvient tous de la beauté de Blondin qu'il incarnait dans Le Bon, La Brute et le Truand, mais aussi de sa férocité lorsqu'il campait l'inspecteur Harry. Le temps ne semble pas venir toucher au sublime de cette silhouette de légende, cette icône qui a traversé bien des époques d'Hollywood, la forme change, le charisme reste là, intact.
L'octogénaire est toujours présent, bien qu'amoindri par la vieillesse, Earl se permet toujours de frimer, il danse quand cela lui chante, s'achète un drôle de bracelet en or, il roule à l'allure qui lui convient bien que cela rende fou ses patrons du cartel.
Clint s'en tamponne, il est libre, et là est l'important. Il est qui il est, et prend les libertés qu'il lui convient de prendre.


Plutôt que de proposer un film bête sur les narco trafiquants, les go fast, et la violence du milieu, le réalisateur nous propose une sorte de go-slow à la Lynch, où le personnage qu'il campe fait ses trajets en tant que passeur, comme il le souhaite, s'arrête dans des fast food d'arrière pays quand il a faim, et emmerde les conventions. Les armes ne sont pas essentielles, alors qu'avec la thématique du film, on aurait pu s'attendre à de nombreux coups de feu. Non, ici on pratique le tir comme passe temps. Earl n'a de toute façon pas peur de ces caïds - qui, à plusieurs reprises, lui pointent une arme dessus - il a connu la guerre, et n'en a que faire. Keep cool. Ses punchlines lui servent déjà de revolver, et cela depuis des années. Dirty Harry est désormais loin de ça.
On se retrouve donc devant une sorte de road movie sur fond de trafic de stup' jonglant avec la comédie.


Vieillir c'est aussi ça, ne pas s'exciter inutilement et pouvoir donner quelques conseils à la jeune génération qui semble ne rien savoir faire sans son portable. La famille, voilà ce qui semble préoccuper cet homme qui semble n'avoir que trop peu profité de l'amour des siens, à rater bien des anniversaires et même le mariage de sa propre fille. Earl veut se rattraper comme il peut, et va donc se servir de ses nouvelles rentrées d'argent pour tenter de rattraper le temps perdu.
On peut tout avoir si on le désire, mais le temps nous échappera toujours. Il est au final à l'image de ces lys qui ne vivent qu'un jour, et dont la beauté semble éphémère.
C'est pourquoi, dans une séquence d'une grande fragilité, Earl tente de passer le peu de temps qu'il lui reste avec son ex-épouse, avec qui il prend le temps de rire, de bavarder comme si de rien n'était, alors que les narcos le recherchent activement.


Notre horticulteur n'est rien d'autre qu'un reflet de Clint Eastwood, un miroir du réalisateur. L'homme comme le personnage font ce qu'ils veulent et nous emmerde, ils sont libres, et donc agissent comme ils le souhaitent, grossiers, obnubilés par un travail qui semble avoir pris trop d'importance dans leurs vies. Et pourtant il continue de filmer, car il n'y aura pas d'héritage Eastwoodien, il est son propre héritier et nous le montre encore avec brio.


Le film est politique, à plusieurs reprises. Pour beaucoup, le réalisateur reste un réac' de droite pro Trump. C'est faux, Eastwood est un libertarien, il fait et dit ce qu'il veut, sympathique avec des mexicains dont l'Amérique souhaite le divorce. Les minorités seront toujours vues d'un œil bienveillant par Clint, lui qui ne juge pas comment chacun s'en tire dans ce grand bordel que sont les États-Unis, les choses sont ce qu'elles sont. Cessons de les juger si on ne les comprends pas, et plutôt que de perdre son temps à faire chier certaines communautés, prenez soin des vôtres.
Seule la liberté peut nous apporter ce que l'on souhaite, c'est d'ailleurs ça l'histoire de ce pays non ?
Les États-Unis et ses habitants n'ont-ils pas toujours essayé à travers le rêve américain de vivre paisiblement et pouvoir profiter de leur liberté ?


La Mule tire sa révérence après le procès d'Earl, qui finira par passer les dernières années de sa vie en prison. Mais il s'en tamponne, le garçon est droit dans ses baskets, reconnaît ses fautes, et finira par nous faire ses adieux, en s'occupant des fleurs du pénitencier. Il aura désormais le temps qu'il lui faut pour occuper ses journées comme il aime, et sa famille pour une fois saura où venir le voir.
Et c'est beau à en chialer.

Sasha_R
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le 28 mars 2019

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Sasha R

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