Le dernier roi couronné du cinéma espagnol, Pedro Almodovar, tente depuis des années d’adouber une nouvelle génération de réalisateurs. Il tend la main vers son dernier protégé en le présentant comme « la révélation espagnole de ce siècle ». Cependant, La Niña de Fuego – étonnant vainqueur du Festival de San Sebastian – ne contredit pas l’impression que le cinéma espagnol traverse une profonde et durable crise artistique. N’arrivant ni à se réinventer ni à trouver des nouvelles figures de proue, il présente annuellement des ébauches ou des ersatz d’un cinéma louchant de plus en vers le cinéma de genre inspiré de l’exception culturelle sud-coréenne. Les cinéastes espagnols, comme Vermut (La Niña de Fuego) ou Rodriguez (La Isla Minima) cette année, cherche à imposer le même singularisme espagnol dont le précepte serait de retranscrire la violence physique et morale qui parcourt une société en crise.


Autour du personnage énigmatique de Barbara, une ribambelle de personnages moralement discutables dessine une intrigue fantasque qui aspire presque à un certain mysticisme du corps. Celui de Barbara parcouru de cicatrices, fameuse niña de fuego, est l’allégorie d’une Espagne marquée par les stigmates de la crise et de son non-renoncement à ressentir. Convoquant sans véritablement de succès le cinéma de David Lynch, Carlos Vermut y ajoute une société masochiste secrète se symbolisant par une obscure porte. L’œuvre aurait pu alors prendre une dimension autre en osant afficher les perversions des Hommes et en ne s’arrêtant pas à l’entrée de cette porte métaphorique qu’il ouvre lui-même. Cherchant à choquer tout en éludant la violence de l’image, la suggestion du cinéaste ne peut fonctionner en dehors d’un récit imposant son mystère à coup de ficelles scénaristiques. Le cinéaste espagnol ne parvient pas à trouver la force du mélodrame qui faisait dire à Sidney Lumet qu’il pouvait rendre vraisemblable l’invraisemblable.


Le film est écrasé par la volonté de son réalisateur d’asseoir sa propre position et d’affirmer ses aspirations. « On est comme ça les Espagnols, comme les corridas, entre l’émotion et la raison » clame un personnage. Carlos Vermut aurait dû le prendre pour leitmotiv tant il oublie d’insuffler de la vie à ses personnages devenu des pantins instrumentalisés. Obnubilé par son envie de choquer le spectateur à coup de plans chirurgicaux ou de phrases assassines (« j’imagine ta tête si je jetais le bébé par la fenêtre »), il livre un cinéma aseptisé et désincarné autour de personnages privés de toute substance autre qu’entourer le personnage de Barbara. Il annihile ce feu qu’il tente péniblement de libérer. Il n’insuffle pas à l’instar de ses inspirations, sud-coréenne ou lynchienne, une sorte d’irréalité affleurant à la réalité.


La Niña de Fuego trouve ses plus belles images dans le préambule à l’histoire de Barbara. L’œuvre tient alors plus du cinéma social voire politique : les livres se vendent au poids qu’il soit des chefs-d’œuvre de la littérature ou des manuels de bricolage, les bijoutiers regardent avec suspicion le moindre passant regardant leurs bijoux en vitrine. Dans ce monde en délitement culturel, Carlos Vermut laisse entrevoir ce qui aurait pu faire sa force, un cynisme savoureux qu’il néglige trop rapidement pour continuer à remplir son cahier des charges.

Contrechamp
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le 9 août 2015

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