Une histoire paysanne qui cache un film d'horreur

En préambule, je dois parler de mon rapport au cinéma d'horreur et même de genre français contemporain. À part quelques grands noms comme Du Welz, Laugier ou Aja, pour citer les plus connus, qui sont des gens dont j'aime beaucoup le travail, je me trouve trop souvent avec la sensation d'être face à des réalisateurs qui ne sont pas proches de ce cinéma, parfois à la limite du mépris.


Des œuvres qui me disent "Ah non mais je ne suis pas qu'un bête film de Sf ou d'horreur, je suis aussi une œuvre sociale, un drame familial etc."
Bref ajouter une dimension d'auteur à tout ça (en tout cas dans ce qu'on nous décrit comme auteur, en réalité films de genres et films d'auteurs n'ont pas de raison d'être opposé).
C'est probablement dû à une certaine presse qui ne peut s'empêcher dès le titre de l'article de le préciser (La Nuée n'y échappe pas d'ailleurs). Seulement si tu n'es pas proche des codes que tu t'apprêtes à utiliser, je m'en fous de ce que tu veux me raconter car ta forme n'est pas adaptée.


Faire un pur bon film d'horreur c'est déjà très dur et très honorable.
Donc passons au-delà des titres de presses du style "Derrière l'horreur des sauterelles tueuses se cache une dénonciation du drame paysan actuel", et essayons de prendre les choses dans l'ordre.


Car La Nuée, de ce que j'ai pu lire, c'est la rencontre entre des scénaristes qui avaient une envie d'un film d'horreur violent et percutant avec un réalisateur qui a souhaité amener une dimension sociale pour nourrir le récit. Ce qui fait que ça fonctionne, c'est que ces deux visions se mélanges, se répondent et s'alimentent.


Ce qui saute aux yeux dans cette cohésion, c'est l'efficacité qui s'en dégage. On a pas mal d'éléments qui sont survolés pour le bien du récit, mais il n'en reste pas moins qu'il faut le faire correctement. Sans spoiler, on ne sait pas pourquoi les sauterelles aiment le sang, parce qu'on s'en fout. Seulement rendre crédible que Virginie, la protagoniste, l'accepte aussi vite, c'est plus compliqué.
C'est là que la dimension sociale intervient, en mettant en avant tous les problèmes de cette mère de famille qui doit élever et s'occuper de son business toute seule. Ce qui rend sa psychologie claire dès le départ et justifie ses choix. On la sait au fond du gouffre, on le ressent grâce à cette réalité ultra tangible. Et poser ses bases au début permet au scénario de ne plus avoir à se justifier et d'aller tout droit, offrant au métrage une montée en puissance qui ne s'arrête jamais. Au fur et à mesure, les sauterelles deviennent la seule et unique préoccupation des personnages et des spectateurs.


Car c'est une des grandes qualités du film; il grimpe en tension, en violence et en folie continuellement. Ce qui a le mérite de donner une séance de ciné très éprouvante pour ma part, comme rarement. Le travail de mise en scène, de décor et d'éclairage se font de plus en plus étouffants, avec des images de plus en plus fortes


quasi apocalyptiques à la fin. Les sauterelles finissent par modifier d'elles-mêmes la lumière et le décor. Quand elles recouvrent les vitres par exemple ou encore les lieux où Virginie les gardes (je sais plus le nom) qui bloquent le champ de vision devant la maison et la lumière verte qui prend elle aussi de plus en plus de place.


Un travail sonore et surtout de sound design comme on en entend rarement en France (je ne suis pas à charge contre notre pays mais force est d'admettre que c'est peu fréquent) pour continuer à rendre ces bestioles omniprésentes et menaçantes comme jamais.


J'aimerais parler les personnages secondaires que j'aime beaucoup. Certains pourront dire qu'ils sont sous-utilisés mais je trouve qu'il font tous ce qu'ils ont à faire et que toutes leurs interactions sont bonnes, servent la tension ainsi que les réalités de ce milieu (ce qui continue, grâce à des phrases par-ci par-là, à garder la cohérence de leurs actions). Le film utilise une technique que j'aime et qui est assez peu présente aujourd'hui, c'est l'utilisation d'archétypes.


Ce qui permet là aussi une efficacité (j'utilise infiniment trop ce mot non ?) dans les choix et les objectifs de chacun. Tous sont lisibles dans leurs intentions et leurs trajectoires. Virginie dont j'ai parlé; Laura, l'adolescente qui devient une jeune femme et comprend qu'elle doit prendre des responsabilités,


elle éloigne volontairement le petit frère du danger,


et l'enfant qui a probablement peur de grandir,


ses meilleures amies sont des sauterelles et une chèvre, il flippe de déménager et même de partir au stage de foot.


Ainsi que Karim dont on comprend aisément la reconnaissance envers Virginie et permet de l'humanité dans le récit ainsi que des respirations.


Et pour ce qui est des secondaires parmi les secondaires, je les trouve aussi bien utilisés, ils donnent vie au récit, l'empêche d'être trop monolithique tout en permettant de garder une réalité concrète du milieu.


Je vais conclure sur ce que j'ai compris de la "morale" du film. Car même si j'ai critiqué les articles de presse qui mettent en avant le monde paysan avant de parler de l'horreur, évidemment que Just Philippot a un discours là-dessus. Il décrit une réalité glaçante sur nos campagnes, Karim qui glisse qu'un distributeur achète tout son vin pour avoir le monopole et faire baisser le prix ensuite, la marginalisation des enfants de paysans considérés comme différents, et bien sûr Virginie prête à tout pour sauver sa culture de sauterelle car elle n'a tout simplement pas le choix


jusqu'à la faire sombrer dans une quasi-folie, même si on sent qu'elle garde conscience de la dureté de ses choix, notamment avec le meurtre du chien.


Le film possède également un discours sur notre rapport à la nature qui, en étant complètement dépendant du capitalisme (dont je ne vais pas vous faire l'affront de vous expliquer le problème) perds tout son sens. Se nourrir de sauterelles pour éviter d'anéantir les espèces animales et éviter tous les soucis liés à l'eau, l'écologie tout ça, c'est très bien, mais l'œuvre dépeint que le problème reste le même.
Toujours plus, toujours plus. On contourne le problème car si on mange tous les insectes de la planète on sera encore dans la merde. Là où à la base, les paysans doivent s'adapter à la nature, la comprendre, le capitalisme les contraignent à essayer de la contrôler. Ce qui est très différent. Grossièrement, tant qu'on jouera à se prendre pour Dieu, ça ne peut pas bien finir.
C'est ça l'impasse de notre société aujourd'hui. Et dans le film on peut le voir par l'utilisation que finit par faire Virginie de sa farine de sauterelle,


elle les vend à des cultivateurs de viande, donc même si sa farine demande moins d'eau pour plus de protéines, l'apport reste trop faible. Elle finit par en faire plus pour vendre plus, sa conscience écologique disparaît totalement. Ce qui est aussi un triste parallèle sur nos campagnes.


Pour conclure, on n'avait pas vu un tel engouement autour d'un film de genre français depuis Grave de Ducournau, et on lui souhaite d'aller encore plus loin pour prouver au CNC, aux télévisions et autres investisseurs du cinéma français que le genre à sa place chez nous.

Aldup
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le 16 juin 2021

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