Tout a été dit ou presque sur Halloween, classique horrifique de John Carpenter de 1978. En une heure et demi et un pitch tenant sur un post-it, pas besoin de se creuser le ciboulot pour en extraire la substantifique moelle. Sauf que la vie est pleine de surprises et ce sont souvent les narrations les plus simples qui donnent les films les plus riches en allégories. Et comme chaque image est sujette à maintes interprétations, reprenons la route vers la petite ville de Haddonfield, Illinois... quitte à se répéter... ou à extrapoler. Trick or treat?


Monster




Depuis 1978, le culte autour de Halloween ne s'est jamais démenti. Pour preuve, le film a engendré une saga comptant aujourd'hui une dizaine d'épisodes. Son personnage principal, Michael Myers, n'est certainement pas étranger à cette popularité. Avec sa silhouette reconnaissable (n'est-il pas crédité en tant que The Shape dans le générique de fin ?), sa démarche au rythme immuable, le psychopathe masqué a su s'imposer immédiatement dans la pop culture américaine. Il faut dire que John Carpenter a usé de nombreux moyens de mise en scène pour proposer à son public un monstre de cinéma digne des bestiaires des classiques du cinéma d'épouvante du studio Universal ou de la Hammer. Sur le même registre, le Docteur Loomis (Donald Pleasence) nous rappelle également Van Helsing (le rôle fut d'ailleurs proposé à Peter Cushing et Christopher Lee), tentant d'arrêter la bête avant qu'elle ne se jette sur ses proies. Ici, les proies en question se nomment Annie, Lynda et la virginale Laurie (Jamie Lee Curtis), trois adolescentes des 70s que Carpenter et Debra Hill dépeignent avec beaucoup de tendresse et d'attachement (les dialogues de Hill pour ses trois personnages y sont pour beaucoup). On partage quelques scènes de leur quotidien, apprenant ainsi à mieux les connaître, avant que ne fonde sur elles le mal absolu.

Et le mal a un nom : Michael Myers, tueur glaçant et déshumanisé. Qui est-il ? Le croquemitaine ? Un vampire ou un fantôme ? Ou bien une chose d'un autre monde comme semble nous mettre en garde le poste de télévision de Tommy Doyle (en plus de prophétiser le futur remake de Carpenter) ? Et s'il s'agissait ni plus ni moins de la mort elle-même, une version moderne (et athée) de la faucheuse, symbole d'une destinée inéluctable que rien ne peut arrêter ? Une chose est sure, "ce n'est pas un homme" comme le répète le Dr. Loomis. John Carpenter est bien décidé à nous faire ressentir cette aura presque surnaturelle du personnage à travers une mise en scène ciselée où Michael apparaît et disparaît tel un spectre, installant de la sorte un suspense insoutenable en bon héritier d'Hitchcock qu'il est. Petit à petit, Carpenter place ses pions avant la mise à mort de ses personnages (à l'instar d'un Brian De Palma). Pas de gore, très peu de sang, mais une ambiance funeste (amplifiée par la musique), une démangeaison insoutenable dont l'issue ne peut être renversée. Le plus important ici est bien moins la conclusion que les préliminaires.


L'ogre et la morale




C'est donc le manque de motivation apparente, le côté totalement aléatoire de ses actes qui font de Michael Myers un tueur des plus effrayant. Pour autant, un mode opératoire se dessine tout au long du film : à l'exception notable du mécanicien à qui il vole sa tenue de travail, toutes les victimes de Michael sont des "pécheurs" (consommation d'alcool, de drogue, et bien sûr, sexualité débridée).
C'est notamment le cas de sa première victime, sa grande sœur Judith, qu'il poignarde à mort dans une scène quasi-incestueuse après qu'elle ait fait l'amour avec son petit ami. À l'inverse, Laurie Strode est vierge et sera la seule survivante parmi notre trio d'héroïnes. Ce gimmick sera repris dans une multitude de slasher movies et donnera à ce sous-genre horrifique de grands airs moralisateurs (voir la série des Vendredi 13).

Quiconque s'intéresse au mode de vie américain connaît la place prépondérante qu'occupe la religion dans son univers mental (sa devise officielle est "In God We Trust"). Contrairement à un pays comme la France, il est rare d'y affirmer ouvertement son athéisme ou agnosticisme. Carpenter lui est athée et ne s'en est jamais caché, en témoignent des films comme Fog ou Prince des Ténèbres. Il lui arrive cependant d'utiliser les images religieuses (surtout celles liées à l'enfer) pour leur pouvoir d'évocation et leur forte portée symbolique. Au regard de la personnalité du cinéaste, inutile de préciser que son discours, dans Halloween, est de l'ordre de la satire. Lui-même s'est exprimé au sujet du supposé puritanisme de son film en ces termes :



La fille qui est la plus coincée sexuellement n'arrête pas de
poignarder ce type avec un long couteau. C'est elle la plus frustrée
sexuellement. C'est elle qui le tue (sic). Pas parce que c'est une
vierge, mais parce que toute l'énergie sexuelle qu'elle a réfrénée
commence à se manifester.


(source : imdb)



La messe est dite. Si Laurie survit belle est bien, elle n'est pas non plus épargnée par le tueur masqué puisqu'elle n'est pas "innocente". On la voit fumer de la marijuana et évoque même son béguin pour un garçon. À l'écran, elle est tout aussi chaste que sa bonne copine Annie (à l'écran seulement !) et elle n'hésite pas à abandonner sciemment son rôle "sain(t)" de babysitter pour aller surprendre ses amis en train de prendre du bon temps dans la maison d'en face (la coquine !). La virginité de Laurie Strode n'est pas une vertu, plutôt une prison, le résultat d'une timidité maladive. Lorsqu'elle est attaquée, elle se débat et utilise ses pulsions pour se défendre et s'émancipe en prenant en main sa sexualité (symboliquement, bien entendu). On a donc affaire ici à une dénonciation d'un puritanisme vain et suranné plutôt qu'à un discours moralisateur.


The 'Burbs




Un autre aspect important du film est son décor principal : une banlieue résidentielle (suburb) américaine. Ce symbole de l’American way of life reste encore aujourd'hui un idéal à atteindre pour les classes moyennes, bien qu'un peu monotone et baigné dans le conformisme social. Haddonfield est l'archétype de la petite ville tranquille et sans histoire, peuplée de gens biens comme il faut. Mais derrière les white fences se cachent des comportements "immoraux" et "déviants". Ce sont notamment les comportements des adolescents qui s'adonnent à tout un tas de "perversions" (ou perçues comme telles dans l'Amérique puritaine) pendant que leurs parents ont le dos tourné. À noter que ces derniers sont quasiment absents tout au long du film, à l'exception notable du shérif Brackett, bien que trop occupé par son travail pour s'occuper de sa fille.

En cours de métrage, nous sommes témoins d'une scène où un couple de voisins refuse à Laurie de lui ouvrir la porte malgré ses appels à l'aide, comme si la génération précédente réprouvait les actions de ces jeunes gens (thématique récurrente du Nouvel Hollywood). Il faut mettre ce passage en parallèle avec la fin du film lorsque Laurie, épuisée après avoir "tué" Myers, ne doit son salut qu'à l'intervention de Loomis, un "patriarche" mais l'un des seuls à ne pas avoir un rapport d'autorité avec les plus jeunes (voir la scène où il fait une blague à une bande de gamins, se mettant à leur niveau). Une façon d'expliquer qu'un adolescent ne peut appréhender les étapes vers l'âge adulte que s'il est épaulé par une figure parentale qui n'exerce sur lui aucun jugement moralisateur. Ainsi, Michael Myers apparaît comme un père fouettard conservateur, un super WASP (White Anglo-Saxon Protestant) une figure patriarcale pâle et austère remettant les jeunes "dépravés" dans le droit chemin à grand coup de couteau de boucher.



Alors, Halloween, pamphlet savamment orchestré ou délire d'interprétation ? Chacun y verra midi à sa porte. Les suites ont préféré rebondir sur la question du puritanisme, ne comprenant pas réellement la subtilité du film de 1978. Rob Zombie, lui, a souhaité utiliser à nouveau la franchise pour donner sa vision de l'Amérique populaire, traitant surtout des white trash, ses familles américaines blanches défavorisées. Quant au classique de Carpenter, il se conclut sur cette simple idée : le mal, quel que soit ce que l'on plaque derrière ce terme (la violence ? les dérives moralisatrices ? la débauche sexuelle ?), fait partie de la nature humaine et ne peut être annihilée. De quoi défriser les grenouilles de bénitier !

MajorTom
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le 2 nov. 2016

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