Extérieur jour / Intérieur nuit


Dernièrement récompensé par deux Valois au Festival d’Angoulême (prix de la mise en scène et de la musique pour Olivier Alary) La nuit des rois, le deuxième long métrage de Philippe Lacôte (Run, To repel ghosts, Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire, Le passeur) est un film politique et allégorique qui joue avant tout sur les contrastes.


Après un plan zénithal sur la végétation luxuriante de la brousse, un pick-up s’engage dans un sentier plein d’ornières conduisant jusqu’à la MACA, l’unique prison d’Abidjan (République de Côte d’Ivoire), un « monde avec ses lois, gouverné par le « chef suprême » ».


Dans le calme de la jungle, un jeune homme, incarné par Koné Bakary, est escorté par un policier jusque dans la cour intérieure du bâtiment pénitentiaire grouillant de monde et de bruits. Dans cette prison, les couloirs recouverts de maximes sont un véritable labyrinthe où cohabitent détenus et animaux. Dès cet instant, le cadre, flirtant entre réalisme et imaginaire, est posé. On ne sortira de ce huis clos qu’à travers les bribes d’histoires de celui qu’on vient tout juste de baptiser « Roman », chargé de conter durant la nuit de la lune rouge. Plongé dans cette obscure fosse aux lions, Roman devra, avec poésie et discernement, puiser dans son imagination et dans son passé, pour illuminer cette soirée macabre : un pari osé pour mettre en lumière la tradition orale africaine.


La MACA, une microsociété


Au sein de cette institution pénitentiaire, tous les détenus ont un surnom, un moyen efficace pour retenir leur fonction ou grade, installer une hiérarchie et créer une lutte de pouvoir. Ainsi, Barbe Noire le chef suprême (Steve Tientcheu vu dans Les misérables de Ladj Ly), un colosse sous assistance respiratoire, observe le nouvel arrivant entouré de ses sbires aux noms évocateurs « Demi fou », « Lame de rasoir » etc.


À l’image d’une visite dans un chenil, et à l’écart de tous ces marginaux scandant des quolibets amassés aux fenêtres grillagées, un seul prisonnier blanc (incroyable Denis Lavant), le toc toc, ère sans bruit, une poule sur l’épaule. C’est peut-être le plus réservé, mais surtout pas le moins hostile, puisqu’il met rapidement Roman en garde de ce qu’il risque s’il ne conte pas son récit dans les règles : la mort. Ici, on ne rigole pas avec la tradition griotte…


Rituel et mythes


Si pendant le générique d’ouverture un carton annonce que le chef suprême doit se donner la mort lorsqu’il n’est plus apte à gouverner, Barbe Noire assoit ce qui lui reste d’autorité en ordonnant à Roman de le divertir. S’il a d’abord envie de renoncer à ce rôle de Shéhérazade moderne, Roman prend progressivement ses marques. À la nuit tombée, il raconte l’histoire de Zama King, le chef du gang des Microbes, un personnage sanguinaire qui a réellement existé et qui est mort en 2015. Ses mots, écoutés et aussitôt incarnés avec théâtralité par les détenus, donnent alors une nouvelle dimension au film. En transposant chacune de ses anecdotes, les souvenirs et fabulations de Roman prennent vie et donnent lieu à des séquences riches mêlant au choix images d’archives ou séquences fantastiques. C’est peut-être là que le récit nous égare. À trop vouloir multiplier les formes visuelles et les récits épars, on perd le fil de l’histoire et on devient extérieur à ce mythe shakespearien pourtant plein de fantaisies. De plus en plus étouffante, ce ne sont ni les regards habités des détenus, ni l’œil impuissant des gardiens qui parviendront à faire de cette fresque, une intrigue glaçante.

Allin
6
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le 7 sept. 2021

Critique lue 388 fois

Allin

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