Je sais que tu n'en as rien à faire mais je vais causer un peu de moi et puis, promis, on passe aux choses sérieuses.

Je suis natif de Rouen. Et je peux dire que j'en ai sucé et re-sucé de la Jeanette. En bûcher, en plaque, en célébration, en place, en rue, en école, en lycée, en square, au lycée, en bistrot, en macaron. Partout, Jeanne, Jeanne, Jeanne.
Pardonnez le coup de gueule d'emblée mais merde quoi ! (en terme psychiatrique, on va appeler cela une demande empathique suite à une atteinte du seuil de tolérance).

C'est un peu comme si j'étais prédestiné à voir ce film. Et comme en plus, je trouve Von Trier pas dégueu et que Dreyer fait parti de ses références. Et comme il y a Antonin Artaud dans un rôle titre. Franchement, vous aimeriez, vous, avoir vu mille fois un truc que vous allez forcément apprécier ou aimer sans même commencer un visionnage ?

J'ai longtemps boudé ce film - ce qui constitue en soi l'humeur général de mon billet (et je n'aime pas spécialement qu'on fasse subir son humeur à son lecteur qui, lui, a une humeur, bref).

Moi, Jeanne, depuis tout petit, j'en ai rien à faire. Et quand j'eus réussi à développer ma pensée, mon premier propos adulte fut de dire :

"Jeanne, oui c'est triste. C'est triste aussi cette justice religieuse et unilatérale. Mais, juste une chose : aujourd'hui la Jeanne, vous la croiseriez en unité psychiatrique d'urgence. Hospitalisée d'office la Jeanne ! En plus, son mysticisme délirant l'a poussée dans des retranchements militaristes ! Vlan, deuxième chose que je déteste."
Et le pire dans tout ça, c'est qu'il n'y a aucun anachronisme ou ethnocentrisme contemporain dans cette manière de voir les choses. Pourquoi diable a-t-elle suscité tant d'oeuvres à son propos ? Quel intérêt pouvons-nous trouver, même humain, devant cette sainteté patriotique ? Quelle sorte d'empathie puis-je trouver à cette personne et à ce film dans son entièreté puisqu'il semble tout aussi unilatéral que ne l'est le procès ? Quelle folie pousse les artistes comme les historiens à avoir "pitié" de cette icône ?

Voulant remédier à ce fléau vers la fin de mon adolescence, pour exorciser, je me mis à l'écriture d'une nouvelle pornographique où la Pucelle orléanaise était, de nos jours, devenue une star du X. Pour la promo de son dernier film "Jeanne et les puceaux", la production avait lancé l'idée d'un immense bûcher sexuel et avait organisé ainsi la plus longue relation sexuelle avec le plus grand nombre de participants... qui faisait la queue, sous contrôle d'un huissier de justice. La mairie, opposée à cette manifestation de ramonage, envoya des cars de CRS qui trouvèrent une tout autre utilité à leur matraque.

Suis-je à ce point obligé de manquer de respect ? Non, mais ça me faisait bien marrer. Et puis, à l'époque, j'avais beau ne pas connaître Orléans, j'étais un peu tout feu tout flamme.

C'est pourquoi sur la question du propos, au-delà de ma subjectivité aigrie, je suis hostile à ce type de projet quelle que soit sa forme. Et ici, l'histoire a beau être qu'une succession de colles théologiques posée à une bipolaire hallucinée, il faut reconnaître que la forme est excellente, le montage étonnant, le jeu est poignant et sincère, la musique au summum, la vie est à portée de main, l'émotion passe en trombe. J'avoue que tant de talents et de techniques gâchés par une allumée du bocal, ça me fait bouillir mon sang !

Il reste que, de ce film, je n'en ai fait qu'une bûcher.


N.B. : pour ceux que j'aurais offusqué au point de n'être à leurs yeux qu'un clown banlieusard et pas drôle, la tentative de l'humour est le seul moyen que j'ai trouvé pour me distancer d'un pathos éprouvant et efficace. Ce n'est pas donc la peine de me lancer des commentaires incendiaires.
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le 7 janv. 2013

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le 7 janv. 2013

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