La Peste
5.4
La Peste

Film de Luis Puenzo (1992)

Le film est une adaptation très libre du chef d'oeuvre d'Albert Camus, "La peste". Le scénario a été écrit par Luis Puenzo, qui est aussi le réalisateur du film.

On sait que le livre a été inspiré par la période de la Guerre d'Algérie qui marqua profondément Camus, qui était né et avait vécu en Algérie, et dont les convictions politiques, proches du Parti communiste, mais d'une grande indépendance de vue, lui firent prendre des positions pacifistes qui ne furent pas comprises de ses contemporains et lui furent reprochées (il reçut même des menaces de mort et il craignit pour la vie de sa mère qui vivait alors dans un quartier populaire d'Alger.)

Le roman, publié en 1947, se déroule à Oran. Il raconte la vie quotidienne des habitants pendant une épidémie de peste qui frappe la ville et la coupe du monde extérieur. En réalité, ce livre est une allégorie de l'idéologie nazie qui, comme le font les rats dans le roman, envahit l'Europe. La portée du livre va bien au-delà : à travers lui, Camus dénonçait tous les régimes politiques totalitaires qui, sous prétexte de sécurité, font régner la terreur sur les populations civiles et persécutent les partisans de la liberté. Grâce à ce roman qui eut un retentissement mondial, et reste le livre le plus lu de Camus, l'auteur, qui avait 44 ans seulement, s'est vu décerner, en 1957, le Prix Nobel de littérature.

Le film

Pour bien marquer l'universalité du roman, le réalisateur a transposé son action dans un port non identifié d'Amérique latine touché par une épidémie de peste. Pour lutter contre cette catastrophe, les autorités instaurent la loi martiale. En visite dans le pays, deux journalistes français, Jean Tarrou (Jean-Marc Barr) et Martine Rambert (Sandrine Bonnaire), sont pris au piège et réagissent selon leur propre sensibilité (doivent-ils s'enfuir pendant qu'il en est encore temps, ou rester sur place et faire leur travail de journaliste ?, question qui est hélas, de plus en plus d'actualité de nos jours). Leurs comportements se modifieront au terme d'une éprouvante course contre la montre.
Comme je l'ai dit, le film est une adaptation très libre du roman. Il se déroule sous une dictature de type militaire non identifiée dans laquelle on pourra reconnaître au choix l'Argentine de Videla ou le Chili de Pinochet mais aussi toutes les dictatures, quelles qu'elles soient, situées en Occident ou en Orient, de droite comme de gauche, avec le même arbitraire, la cruauté, les camps, les règlements absurdes, "ubuesques" (au sens littéral du terme, le père Ubu étant la caricature de tous les autocrates du monde, qu'ils aient pour nom Staline, Mussolini ou Hitler), leur inhumanité. Bizarrement, cette volonté délibérée du réalisateur de transposer le thème, pourtant universel, du roman, que n'aurait certainement pas renié Camus, n'a pas été comprise par la critique qui y a vu une "trahison" de l'auteur. Au contraire, j'ai personnellement d'autant plus apprécié cette transposition géographique accentuée par les anachronismes glissés ici ou là par le réalisateur car j'ai trouvé qu'en agissant ainsi Luis Puenzo avait amplifié la dimension intemporelle et universelle du livre. Il pose aussi la bonne question, celle qui est au centre du roman mais aussi de toute l'œuvre de Camus et qu'il s'est d'ailleurs posée lui-même tout au long de sa vie : "Comment, moi, citoyen ordinaire, réagirais-je devant une situation extrême ? Quelle position prendrais-je ? Serais-je un héros ? Serais-je un lâche ?", question que nous devrions tous nous poser à chaque moment de notre existence ou, en tout cas, à chaque fois que nous devons prendre une décision importante qui engagera l'avenir. Je trouve donc, à la différence de ce que j'ai lu ici ou là, que Luis Puenzo n'a pas démérité en adaptant "La peste" comme il l'a fait, bien au contraire puisqu'il en a respecté le texte (les répliques du film sont intégralement celles des personnages du livre) mais aussi, ce qui est plus difficile, l'esprit. J'ai aussi beaucoup aimé l'interprétation sensible et humaine de Jean-Marc Barr, qui est un acteur que j'aime beaucoup et que je trouve sous-employé. Il donne à son personnage, hésitant entre le bien et le mal, entre ce que ses convictions lui dictent et ce besoin animal (et naturel) de sauver sa peau, une grande justesse. Quant à Sandrine Bonnaire, d'autant plus exposée à l'arbitraire et à la cruauté qu'elle est une femme, son jeu, où elle sait montrer à la fois la peur et la détermination, m'ont épaté.

J'ai aussi beaucoup aimé la bande son de ce film, en particulier un morceau, que j'ai mis des années à identifier et à retrouver car, curieusement, il n'avait jamais été enregistré et n'a été disponible que de nombreuses années après la sortie du film. Il s'agit de la musique qui illustre la procession religieuse accompagnant les victimes de la peste. J'ai longtemps pensé qu'il pouvait s'agir d'un extrait d'une œuvre religieuse classique. En réalité, c'est une oeuvre originale, composée pour le film par le grand musicien grec Vangelis (qui n'est même pas crédité au générique !) A ma connaissance, le seul enregistrement se trouve sur un album collector sorti à l'occasion de l'an 2000 qui s'intitule "Reprise 1990-1999" (CD EastWest 3984298282) qui, comme son nom l'indique, rassemble les principales musiques de films écrites par cet immense musicien pendant une décennie. Le morceau que l'on entend dans le film s'intitule "Psalmus ode" et il est interprété par un jeune soliste anglais du nom de Jeremy Budd. Autre curiosité, ce film n'est jamais sorti en DVD, du moins en France et je le recherche depuis de nombreuses années.
Roland_Comte
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le 15 févr. 2015

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Roland Comte

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