La Planète des singes - Suprématie par Cinémascarade Baroque

Non seulement Matt Reeves continue d’imposer le style percutant qui faisait la réussite du film précédent, mais il se permet également de prolonger avec brio la teneur narrative et visuelle d’une histoire devenant encore plus sombre et cruelle. Le film n’a rien d’un divertissement pour l’été, encore moins d’un blockbuster calibré pour tout type de public. Dès le générique extrêmement épuré et glaçant, le réalisateur nous met tout de suite au cœur de la bataille. Dans sa première partie, le récit est tout simplement magistral et une atmosphère lourde, anxiogène, palpable, ne nous quittera plus. Osant citer « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola, la mise en scène est presque viscérale, organique, pour nous imprégner de la folie qui rampe dans les rangs, singes ou humains.


Matt Reeves fait encore une fois l’économie du dialogue, rappelant que le cinéma est avant tout un art visuel. Il préfère suggérer, montrer avec finesse et se servir de l’apesanteur des situations. Rarement aura-t-on vu des enjeux déployés avec autant de dextérité. Après cette bataille aux dommages irréversibles, on aurait pu penser que le rythme allait être plus calme. Si c’est le cas dans un sens, l’errance de César et de ses fidèles allaient prendre cependant une allure presque métaphysique. Du film de guerre, on passe au western avec l’arrivée de deux éléments clés : les apparitions fantomatiques de Koba (ancien compagnon de César aveuglé par la haine, voir « L’affrontement final ») et la découverte d’une petite fille muette dans une bâtisse, Nova.


Encore une fois cette partie du récit est également incroyablement prenante. Baignées d’une photographie magnifique, très contrastée, les séquences se font plus contemplatives. La musique, sonnant comme une sourdine déréglée, renforce l’impact hypnotique. Cette traversée est surtout mentale pour César qui lutte entre sa part sombre (Koba) et lumineuse (Nova). Comment lutter contre sa propre haine ? Comment se poser en chef quand on voit les siens mourir chaque jour ? Qui nous définit finalement le mieux, notre part bestiale ou humaine ? Autant de questions qui s’entrechoquent et alimentent l’action. Sans sombrer dans l’austérité, la part ténébreuse des évènements est parfois contrebalancée par des vrais pics d’émotions.


La rencontre entre Maurice (le sage Orang-outan muet) et Nova est très belle, que ce soit dans le jeu d’acteur ou le sens du cadrage. Le temps paraît suspendu et fait redécouvrir avec délicatesse la rencontre entre l’Homme et l’animal (les rôles de domination étant inversés cette fois-ci). Finalement dans cette guerre, il n’y a que des orphelins ou des parents sans enfant. Un constat qui sera toujours présent, notamment avec l’arrivée dans le camp de prisonnier. Sur une durée totale de 2h20, cet acte final pourrait faire figure d’apothéose et ainsi accélérer les choses. Matt Reeves refuse cela de nouveau et finit de poser un regard contemporain sur les conditions d’emprisonnement des singes.


Depuis le tout premier opus de 1968, classique avec Charlton Heston réalisé par Franklin J. Schaffner (« Papillon », « Patton », « Ces garçons qui venaient du Brésil »), la saga a toujours tenté de porter un regard social et politique sur son époque. « La planète des singes : Suprématie » n’échappe pas à cette règle et se permet des rapprochement surprenants : la figure des « Harkis » (des algériens se battant côté français durant la guerre d’indépendance) pour les singes aidant les humains, le parallèle entre le camp de prisonnier et celui de concentration ou également les révoltes des esclaves noirs américains. Tout cela évidemment peut être perçu autrement mais cette lecture résonne. Une façon d’injecter du réalisme aux enjeux.


Et l’Humain dans tout ça ? Son point de vue est résumé à travers celui du colonel. S’il apparaît au premier abord comme le cliché du « badass ultime tourmenté à la colonel Kurtz » (« Apocalypse Now » again !), sa personnalité se complexifie considérablement au fil des discussions avec César. Ce rapport entre les deux finit même par devenir poignant. Le chef des singes réalise que cette guerre n’est plus une question de domination mais d’une espèce qui doit mieux s’adapter que l’autre. « Les singes sont forts ensembles », un slogan qui prend tout son sens et menant César du côté de la raison. Alors qu’il semblait s’abandonner à la résignation devant tant de haine, c’est la haine elle-même qui détruira les Hommes. A force de vouloir soumettre et de conquérir, ils s’éradiquent eux-mêmes. Une tragédie qui trouvera sa force dans la confrontation finale entre les deux individus. On revient alors au père qui cherche le fils.


Au-delà de toute réflexion tissée au fil de la saga, il s’agit avant tout du portrait émouvant d’un individu : César. Il est l’incarnation même de son peuple qui a dû apprivoiser la peur, le savoir, la survie ou le combat. S’il a pu commettre des erreurs, il y en une qu’il a évité de justesse : celle de se croire indispensable. Cette révélation douloureusement évidente est la paix pour ce chef. Ce soldat, ce père, ce leader voit l’accomplissement de ses frères. La terre promise est le point d’un nouveau départ et César tourne la page à sa façon, dans la gloire de sa légende. En fermant les yeux avec dignité, son angoisse sera finit.


« La planète des singes : Suprématie » est une superbe épopée terriblement prenante et émouvante, dénuée de manichéisme. Sa richesse thématique et le soin apporté au visuel en font un cas presque atypique pour un gros budget hollywoodien.

AdrienDoussot
9
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le 20 oct. 2020

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