C'est avec surprise que je me retrouve à placer ce troisième volet dans les meilleurs films de l'année. Pas que je n'attendais pas le projet, ni que je n'avais pas aimé les deux précédents volets qui étaient tout à fait bons. Mais ceux-ci étaient perfectibles et rien ne pouvait présager un niveau pareil.


Que s'est-t-il donc passé au sein de la Fox ? Matt Reeves a t-il eu un regain de liberté ?
Au final peu importe car le résultat est là: "War for the planet of the Apes" est une réussite totale, mettant à mal de nombreux blockbusters. Il n'y a guère que "Logan" qui m'a fait cet effet-là cette année (notez que c'est encore la Fox qui est derrière).


Ce volet de "La planète des Singes" surprend constamment, déjà parce que son titre est trompeur. Non, ce n'est pas tellement un film de guerre, c'est plus nuancé et finalement plus intelligent que cela. Matt Reeves emprunte un peu partout, du western au film carcéral en passant par le "revenge movie". Mais il le fait à chaque fois avec une certaine finesse, laissant à l'œuvre une certaine identité, ainsi qu'une structure narrative rigoureuse et cohérente.
Reeves n'hésite ainsi pas à couper son film en deux parties bien distinctes: dans sa première heure, le long-métrage prend la forme d'un road-movie post-apocalyptique, prenant soin d'ancrer ses personnages dans un monde immense et désolé. Les liens avec les protagonistes se créent ou se renforcent rapidement, c'est classique mais diablement efficace.
L'œuvre bascule ensuite en récit carcéral, là aussi avec une remarquable maitrise. L'empathie pour les singes est totale: c'est dur, violent et jusqu'au boutiste. Il faut parfois se pincer pour y croire tant le film est d'un sérieux total. Reeves croit en ses enjeux, croit en ses personnages, et réussit à atteindre ce que beaucoup de blockbusters peinent à avoir: du souffle.
C'est là que les comparaisons avec certains films comme "The Dark Knight Rises" ou "Le Retour du Roi" (que j'ai pu lire un peu partout) ont du sens: oui, ce troisième volet de "La planète des Singes" n'a rien à leur envier dans la mesure où il y a une vraie montée en puissance qui signe l'apogée de la trilogie. On est totalement pris dans le récit, on y croit, l'émotion est là.


On doit cette puissance dramatique à de nombreux facteurs: en premier lieu la mise en scène de Reeves qui épouse totalement l'ampleur de son récit. De la composition des cadres à la photographie léchée, le film est une merveille visuelle. Les rares scènes d'actions sont brillamment découpées mais ce qui intéresse avant tout Matt Reeves, c'est l'intime. Et c'est en se concentrant sur l'intimité de ses personnages qu'il arrive à donner aux scènes plus grandioses le souffle nécessaire. Le film est jalonné de gros plans, isolant les protagonistes dans le chaos ambiant pour mieux cerner leurs sentiments. Bien sur, le premier qui en est bénéficiaire est César.
Personnage complexe s'il en est, à l'évolution passionnante et filmé avec intelligence par Reeves, n'hésitant pas à l'iconiser mais aussi à le montrer comme un être perfectible, sensible à la douleur et rongé par des sentiments contradictoires. A ce titre, son dilemme psychologique sur la vengeance est pertinent et passionnant. Un dilemme certes vieux comme le monde mais qui fonctionne parfaitement dans le contexte de l'histoire.
Cette fascination pour le personnage doit beaucoup à un Andy Serkis qui se donne corps et âme, livrant peut-être bien sa meilleure prestation. Il EST César, rendant compte de toute sa bonté mais aussi de toute sa haine, pouvant être aussi charismatique que terrassé par la douleur. Indéniablement, l'acteur impressionne du début à la fin et est un des atouts majeurs du film. Face à lui, l'excellent Woody Harrelson n'a pas à rougir en Colonel. Un choix de casting assez génial pour une menace crédible et cruelle.


D'ailleurs, le (relatif) manque de nuance des humains se justifie par un renvoi aux heures les plus sombres de notre histoire. Bien sur, reproduire les camps de concentration peut avoir un côté assez "facile" dans la symbolique, mais les problématiques posées sont finalement très actuelles et assez pertinentes. Le film ne raconte rien de plus que la peur de l'autre à un moment crucial de l'Humanité, et les extrémités qui en découlent.
Qui plus est, les motivations du Colonel, si elles entrainent des actes d'une grande cruauté, ont du sens. Pour continuer dans le symbolisme, les renvois évidents à l'histoire de Moise ont là aussi une vraie pertinence. Reeves n'en fait jamais trop, empruntant de manière assez logique et justifiée au récit de l'Exode. Tout s'imbrique très naturellement dans le récit, lui donnant une vraie profondeur et...un souffle biblique. Oui, on y revient encore.


On sent d'ailleurs que ce côté biblique a inspiré Michael Giacchino tant la réussite de sa partition s'impose comme une évidence. C'est un compositeur éminemment talentueux mais qui ne m'avait plus fait rêver depuis longtemps à force d'enchainer les bo du tout Hollywood (de "Jurassic World" à "Spiderman" en passant par "Star Wars"), et ce pour un résultat de plus en plus oubliable. Et pourtant...
Reprenant beaucoup de thèmes du volet précédent (les meilleurs, en fait), Giacchino les marie à d'autres leitmotivs tour à tour tribaux et lyriques. Si on peut noter une utilisation un brin excessive des morceaux (impossible de ne pas les avoir en tête à la fin), force est de constater qu'ils aident à donner un souffle sans pareil au film. Tellement que cette partition s'impose peut-être bien comme la meilleure de son compositeur, à ranger à côté de celle de "Star Trek".


Bien sur, on pourrait toujours reprocher au film de se perdre dans un ton pompier (notamment lors de sa dernière scène) mais le tout est fait avec tellement de sincérité et de générosité que j'avoue sans mal avoir été touché.
C'est d'une façon spectaculairement flamboyante que Matt Reeves termine sa trilogie, s'imposant comme un réalisateur (un auteur ?) à suivre de près. Aussi épique que émouvant, le film est une réussite totale, non seulement l'une des plus belles de l'année, mais aussi l'un des plus gros coups dans le domaine du blockbuster dernièrement.

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le 18 juil. 2017

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Anthony Douceau

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