Premier western d’Anthony Mann, La porte du diable est aussi, avec La flèche brisée de Delmer Daves, un des film pro-indien* de l'âge d'or, bien avant Les Cheyennes de Ford ou le célébrissime Little Big Man de Penn.


Au carrefour de l’Histoire, l’intrigue se concentre sur le retour de guerre d’un héros (Robert Taylor, tout en grandeur intériorisée) qui fut considéré comme tel dès lors qu’il servait la nation. A partir du moment où il reprend possession de sa terre, l’hostilité blanche va se manifester à l’égard de l’homme redevenu indien.


On connait la propension du western à traiter sous l’angle géographique et territorial la naissance d’une nation. La porte du diable s’y inscrit pleinement. Le début du récit devrait être un dénouement. La famille indienne le dit : “We lost the taste for fighting. You are home. You are again indian” Le retour à la terre est conçu comme un retour à l’Eden. Mais l’expansion et la réunification américaine en décident autrement : la civilisation passe par la colonisation de l’espace, et la nécessité d’étendre les zones de pâturages, une question qu’on retrouvera dans L’homme qui n’a pas d’étoile de Vidor.


Chaque incursion dans le territoire civilisé aura pour écho le pire de l’humanité : en témoigne ce premier coup de griffe porté à son héroïsme dans la profondeur de champ de la rampe du bar. A l’arrière-plan, le héros expose ses retrouvailles au barman ; au premier plan, un homme auquel on faisait pourtant à peine attention prend la parole, pour asséner une remarque raciste. La doxa s’impose ainsi dans le décor, invisible au premier abord, mais d’une efficacité redoutable, d’autant plus que le quidam en question (Louis Calher, royal et glaçant) s’avèrera homme de loi, et contribuera à l’expropriation légale de l’autochtone.


Ce bar reviendra : comme lieu d’une bagarre d’une rare violence, durant laquelle Mann insistera particulièrement sur les visages des spectateurs avides de violence, puis tribune populaire où l’on autorisera le lynchage.


Mann, avant d’être l’un des maîtres du western, s’est illustré dans le film noir. Cela explique le dynamisme de sa mise en scène comme l’âpreté de son regard sur l’humanité. Les scènes épiques, d’une grande maîtrise, ne permettent pas la jubilation d’un grand spectacle : elles sont surtout effrayantes, parce qu’elles parviennent à retranscrire l’horreur du conflit, et la mécanique du pire en terme d’échange entre les communautés : à coup de dynamite et d’incendies, de dispersion de troupeaux ou de massacre humain.


Cette noirceur infuse jusqu’aux ébauches d’une romance tuée dans l’œuf. Le personnage féminin de l’avocate, tout à fait original pour l’époque, permet à Paula Raymond (presque aussi belle que Gene Tierney, c’est dire) de s’affirmer progressivement, sans que les beaux sentiments puissent entamer la réalité de la ségrégation. Le constat est terrible : « Nous sommes nés cent ans trop tôt », conclura le protagoniste avant de mourir dans une dignité que peu de personnages estimeront à sa juste valeur.


Nous sommes en 1950, Mann vient de réaliser son premier western. Et force est de constater que ce superbe noir et blanc est déjà crépusculaire.



  • Précision des experts : guyness a vu un western pro indien des années 30, et Kalopani mentionne Le Buffalo Bill de Wellman, datant de 1944.

Sergent_Pepper
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le 15 déc. 2017

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Sergent_Pepper

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