La Poupée
7.6
La Poupée

Film de Wojciech Has (1968)

Asymétrie des rapports de force dans les hautes sphères de la Pologne de la fin du XIXe siècle

Cinq ans avant La Clepsydre, le cinéaste polonais Wojciech Has proposait déjà une fresque historique incroyable, presque tétanisante par moments, à l'atmosphère graphique dotée d'un cachet très particulier. Loin du voyage dans le temps et dans l'intimité, illustrant le passé d'un personnage dans un décor chaotique teinté d'onirisme, La Poupée utilise ce savoir-faire technique facilement reconnaissable pour établir un autre type de fresque, politique et sociale, un peu plus détachée de l'expérience individuelle, centrée sur Varsovie et la Pologne à la fin du XIXe siècle.


C'est avant tout le portrait d'un idéaliste, Stanisław Wokulski, un parvenu qui a su tirer un grand profit du conflit opposant les empires russe et ottoman en 1877-1878. Sa richesse conséquente le faisant rapidement évoluer dans les hautes sphères de la société polonaise, il se heurtera aux limites de sa condition sociale, au cœur d'une lutte des classes en guise de toile de fond, alors qu'il convoite la fille d'un aristocrate désargenté. Les va-et-vient entre les deux univers, nouvelle bourgeoisie et vieille aristocratie, seront aussi fréquents que marqués par l'inimitié et les rapports de force écrasants. L'indolence et la condescendance de la classe aristocrate qu'il tente de pénétrer, à travers ses salons luxueux reconstitués dans tout leur faste, lui sera invariablement renvoyé à la figure.


Wojciech Has développe ce récit, accompagné d'une romance impossible et largement asymétrique, au creux d'une mise en scène incroyable, alimentant cet univers avec une série de tableaux tour à tour réalistes et oniriques de la société polonaise. On reconnaît très vite les singularités qui la caractérisent : des travellings latéraux faisant découvrir les lieux en même temps que les personnages qui s'y déplacent, et surtout ce soin incroyable dans la composition des cadres et des décors, farcis de détails attisant l'imaginaire de manière continue. Ces procédés sont utilisés avec une certaine parcimonie, ils sont sans doute un peu moins fascinants que dans La Clepsydre mais fonctionnent comme des électrochocs immersifs sans que leur fréquence ne conduise à la gêne ou l'indigestion. Les densités graphiques et thématiques dialoguent ainsi continuellement et aboutissent à un équilibre envoûtant : le parcours d'un homme ambitieux qui ne trouvera qu'amertume et désespoir, condamné à errer dans un musée de cire.


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Morrinson
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le 31 oct. 2018

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Morrinson

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