Le samedi soir, c'est une obligation, est le temps de l'amusement. "Il faut se lâcher". Les employés de bureau, semi-esclaves de la semaine, endurant l'aliénation physique et morale de la tâche administrative, décompressent. Toutes les frustrations doivent être libérées. Le ressentiment, accumulé au cours de la semaine, doit être libéré. On se venge sur l'Autre: le patron, le noir (qui est un américain, ce n'est pas un clandestin ou un immigré, veillons à ne pas décontextualiser le film), le policier. Ce dernier, ici, est visé comme défenseur de l'ordre établi, cet ordre qui frustre ces barbares d'un soir. L'amusement, c'est donc le masque de l'évacuation du ressentiment. Avec l'alcool qui coule à flots, ce masque tombe peu à peu, et les convenances sociales tombent: ils veulent du sang.
Le samedi soir, c'est une obligation, est consacré, comme le reste de la semaine,est consacré au travail, sous couvert de divertissement. C'est l'occasion pour la haute bourgeoisie d'étendre et renforcer son réseau. Dirigeant occulte de la ville, la haute bourgeoisie est une nouvelle aristocratie, qui derrière les apparences de respect des valeurs de la démocratie américaine, se comporte en réalité comme un despote. Ces valeurs bafouées, c'est d'abord l'égalité entre citoyens: on ne cotoie, dans son temps libre, que des gens de sa classe, refusant toute sympathie à ses concitoyens de fortune moindre (qui s'en trouvent frustrés: l'origine de leur ressentiment, c'est la haine de classe, des deux côtés, entre jalousie et mépris). L'autre valeur bafouée, c'est un autre versant de l'égalité des citoyens: la loi, égale pour tous. Cette capacité que donne l'argent, et que l'aristocratie financière pense être de droit, d'être soumis à un droit différent, et à pouvoir instrumentaliser la loi, et l'appareil administratif public, dans le sens de ses propres intérêts. C'est aussi, par conséquent, cette incapacité à penser ses rapports à l'administration autrement que comme des relations interpersonnelles: le représentant de la loi, parce que nommé par la haute bourgeoisie, devrait, avant de faire respecter la loi, obéir à celui qui l'a nommé. Cette pratique de la vie publique indigne, et encore une fois, génère la frustration de ceux qui n'ont pas la capacité d'agir de la sorte.
Le samedi soir, c'est une obligation, est consacrée au travail. Ce travail, c'est le respect de la loi. Un citoyen ne peut en tuer un autre juste à cause de sa couleur de peau. C'est la loi. Celui qui vous a nommé à votre poste de représentant de la loi n'a aucunement le droit de vous instrumentaliser afin de satisfaire ses intérêts personnels. C'est la loi. Un homme qui s'échappe de prison, aussi sympathique soit-il, et aussi révoltante soit l'injustice avec laquelle il est traité, doit retourner terminer sa peine. C'est la loi.
Faire respecter la loi, c'est une tension permanente. La loi transcende les communautés, est supposée leur être supérieure, en tant qu'émanation de l'Etat, qui travaille à l'intérêt général, et non à des intérêts particuliers. Faire respecter la loi, c'est un devoir, une question d'honneur. Et quand les intérêts particuliers s'allient pour la briser, nous somme en enfer. C'est la violence déchainée, la guerre de tous contre tous.
Un enfer qui se prépare lentement, mais qui transparaît sur tous les visages... cette sueur permanente, ce déferlement de débauche ininterrompue, qui croît à mesure que s'accumule le taux d'alcoolémie des barbares. Un déferlement d'ivresse qui met mal à l'aise à mesure qu'il dévoile les fêlures de la société américaine, voire des sociétés occidentales. Un malaise, une tension loin d'être propre à l'Amérique des années 1960.