Si La prière retient l’attention, c’est déjà parce qu’il est un bon film, d’accord, mais c’est surtout parce qu’il semble complètement contre l’air du temps.


1 – Déjà, le film ose prendre pour thème la religion et prendre pour cadre une espèce de communauté monastique. Et, plus audacieux encore, ce thème et ce cadre ne sont pas une toile de fond, ils ne sont pas choisis comme prétexte pour parler d’autre chose de plus séduisant, ni pour servir de produit de contraste, de contrepoint mystique à une intrigue plus enthousiasmante (comme dans le récent L’Apparition, qui avait une approche plus spectaculaire de la religion). Ici, le film raconte très simplement le fonctionnement de cette communauté d’ex-toxicos en voie de rédemption, à travers le parcours d’un entre eux. L’histoire est une épure : sans être linéaire, toutes les étapes de la trajectoire du héros s’enchaînent sans surprise, sans rebondissement qu’on ne voit pas venir. Le film raconte simplement la rédemption d’une brebis égarée.


2 – A propos de rédemption, justement, le film exprime des valeurs très peu modernes, je crois : la rédemption, donc, mais aussi la foi, le dépassement de soi, la fraternité… Et toutes ces valeurs ne sont pas moquées. Elles sont prises au premier degré, voire célébrées. Même si, heureusement, le film fait preuve de nuance : par exemple, entre Thomas et Sybille, l’amour n’est pas que spirituel, il est aussi charnel.


3 – Et puis, le film s'autorise des plans iconiques, des moments grandiloquents, comme la surprenante mise à l’épreuve de Thomas la nuit dans la montagne. On peut s’amuser (si on trouve ça amusant) à y repérer les références bibliques, à faire des comparaisons entre les personnages du film et des personnages de la Bible… Et la mise en scène s’en charge pour nous. Par exemple, Sybille joue le rôle de l 'ange protecteur et rédempteur : dans la voiture, elle est baignée de lumière, et son regard surcadré dans le rétroviseur domine Thomas. (Louise Grinberg a en plus naturellement quelque chose de divin, de céleste...) Mais cette emphase n’empêche pas au film de jouer du contraste des situations : les blagues potaches et les moments de prières ne sont séparées que par un cut.


Mais des ambiguïtés plus souterrains attirent aussi l’attention.


Le thème de la secte, par exemple. Le cadre du film est quand même particulier, et met rapidement mal à l’aise. Ces jeunes hommes vivent à l’écart du monde, il leur est interdit d’être seul, les règles de la vie quotidienne sont complètement redéfinies : certes, aux grands maux les grands moyens, mais le dispositif semble sectaire. Tous ces jeunes hommes ont l’air lobotomisé, ils parlent et demandent pardon sur un ton robotique, celui de la litanie : il y a quelque chose de vertigineux dans leur transformation…
Mais ce vertige, ce trouble, n’est pas approfondi : le film semble avoir peur d’explorer la dimension sectaire de son histoire, et ce n’est de toute façon pas son propos, qu’il désamorce au détour d’une réplique (du type « nan mais c’est pas une secte hein »).


Autre ambiguïté à la fin du film :


Thomas finit par renoncer à sa vocation de prêtre pour retrouver Sybille ; l’amour l’emporte sur sa vocation. Cette conclusion est bien amenée, et donne le sentiment d’être nécessaire. Pourtant, un détail étonne, dans le plan où Thomas est dans la voiture qui l’emmène retrouver Sybille : Thomas va de la droite vers la gauche. Littéralement, renonçant à la prêtrise, il « retourne en arrière ». Dès lors, quel jugement le film porte sur Thomas ? Le film lui reproche-t-il sa régression sur le chemin de la foi ? Etablit-il une hiérarchie dans les existences à mener : succomber à l’amour d’une femme, aussi angélique soit-elle < accomplir sa vocation de prêtre ? L’établissement d’une telle hiérarchie, ce possible jugement du film sur le parcours de Thomas, est déconcertante : le spectateur considère logiquement que Thomas s’est accompli, que son parcours est beau, là où le film, peut-être intransigeant, jugerait son reniement final comme un échec.
(je verse peut-être dans la surinterprétation, dans la mesure où le bus qui l’emmène vers le séminaire roule aussi, dans le cadre, de la droite vers la gauche… Mais je trouve intéressant qu’on puisse remettre en question le degré de sa réussite morale !)

TomCluzeau
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le 24 mars 2018

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Tom Cluzeau

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