Alité dans sa demeure de Vincennes (le château dont on peut reconnaître le magnifique donjon), en 1661, le cardinal de Mazarin (Giulio Cesare Silvagni) n’est plus que souffrance. Sentant sa fin approcher, il fait demander le roi. Louis XIV (Jean-Marie Patte) qui se tient au courant accourt pour un ultime entretien. Il a 22 ans et vit au Louvre où il est l’élément central d’un protocole séculaire. Ce matin-là au lever du roi, d’un sourire la reine a fait savoir qu’au cours de la nuit son époux a accompli le devoir conjugal. Le mot devoir prend ici toute sa signification, car le devoir du roi est bien de faire en sorte d’assurer une descendance mâle pour assurer la pérennité de la lignée (les Bourbons). Ce qui n'empêche pas le roi d’avoir une maîtresse.


Devenu roi peu avant l’âge de 5 ans, Louis a eu le temps de se faire une idée précise de l’exercice du pouvoir (sa mère Anne d’Autriche régente, Mazarin premier ministre), tout en profitant des plaisirs de la vie. La disparition de Mazarin est un choc. Visiblement intelligent et conscient de sa position (privilégiée mais dépendante de son entourage), le roi accorde désormais son entière confiance à Colbert (Raymond Jourdan) et lui demande un tête-à-tête quotidien pour faire le point chaque soir, en particulier sur tout ce qui touche aux finances du royaume. Bientôt Louis énonce à Colbert impressionné, ce qu’il veut pour asseoir son pouvoir.


Parmi ses mesures décisives, celle d’héberger la cour à Versailles à ses propres frais. Le but, faire en sorte que tous les nobles soient dépendants de lui et non l’inverse. On peut penser que si cette décision a contribué à sa grandeur, elle est fondamentale dans le processus de centralisation de la France (Louis XIV, roi-soleil vers qui tout converge, parce qu’il dispense ses bienfaits). Comme quoi, toute grande idée qu’elle fut sur le moment, elle portait en germe ses faiblesses, puisqu’on n’en finit plus dans notre pays de chercher des mesures pour contrebalancer l’énorme poids de la capitale par rapport à celui de la province.


Autre point fondamental, Louis XIV décide que le château de Versailles, bâti par la volonté de son père (Louis XIII), sera le symbole de la puissance de la France (et de son roi). Il y habitera et le fera agrandir de façon à ce que toute la cour y réside, qu’il puisse y recevoir les grands de ce monde et les éblouir.


En 1h30, Roberto Rossellini donne à voir un ensemble particulièrement convaincant. Le spectateur comprend aisément pourquoi l’histoire à fait de Louis XIV le roi-soleil. Outre son intelligence, il a bénéficié de la longévité de son règne, d’une santé protégée (on voit notamment le travail des goûteurs lors des repas, son frère l’assistant personnellement pendant ces moments), ainsi que de sa capacité à évaluer les mesures à prendre pour asseoir son pouvoir. Tout le film montre que le pouvoir est quelque chose de fragile qui dépend énormément des apparences. Le roi demande notamment l’élaboration d’un costume hors normes. S’il apparaît extravagant, ce costume a pu marquer les esprits. De même, lorsqu’il décide d’écarter le surintendant des finances, Nicolas Fouquet, Louis XIV va jusqu’à défier sa mère qui est amie avec cet homme puissant et sûr de son système. Le roi décide d’un conseil à Nantes, ville du surintendant, pour le faire arrêter à la sortie du conseil. Il confie l’arrestation à un certain chevalier d’Artagnan (qu’on voit avec ses mousquetaires). Ce pourrait être un joli clin d’œil à Alexandre Dumas qui a su passionner des générations de lecteurs pour l’histoire de France. Or, renseignement pris, ce point est véridique. La reine-mère avertit le roi qu’il risque de rallumer les haines de la Fronde. Mais le roi a décidé, il en sera ainsi.


Tourné pour la télévision (format 4/3), ce film est également sorti en salles (1966), ce que ses qualités justifient largement. La version originale est en français, sans tête d’affiche pour monopoliser l’attention et, si le début laisse craindre un film porté sur l’anecdote plutôt que sur des faits historiques, il n’en est rien. Les personnages principaux de l’intrigue (Louis XIV, Mazarin, Colbert et Fouquet) sont tous crédibles. Les intrigues de cour sont évoquées, avec leur incidence sur les événements. Petit regret, Fouquet est présenté comme quelqu’un de néfaste, alors qu’il fut réhabilité et que son château de Vaux-le-vicomte, s’il était montré, pourrait témoigner de ses goûts artistiques. De même, si on voit Louis XIV protégé, le film ne dit pas que sa vie était considérée comme une sorte de miracle (il a échappé in extremis à la noyade et à la maladie).


Louis XIV est donc indissociable du château de Versailles dont les extérieurs sont montrés pour donner une idée de leur immensité (travaux d’extension avec exploitation d’une carrière). Les intérieurs sont utilisés judicieusement, ainsi que les costumes, l’ensemble étant mis en valeur par la qualité technique des couleurs et des éclairages. On a un bel aperçu du riche mobilier et les scènes où le roi est au lit sont très révélatrices. Lit à baldaquin fermé par une servante, puis ouvert par celle-ci pour prévenir le roi que Mazarin est mort. Très naturellement, la mise en scène de Rossellini fait sentir que tout le protocole est réfléchi. Il faut faire sentir la puissance du roi, mais également que la dynastie et la descendance sont primordiales (le roi n’approche pas Mazarin mort pour éviter tout risque de contamination). Louis XIV n’est pas un personnage spécialement charismatique, à 22 ans il lui manque encore l’habitude de s’exprimer en public. Il se comporte en jeune roi qui se moque de plaire, puisqu’il est à sa place en prenant des décisions. C’est constamment surprenant, ce qui n’est pas plus mal.


Film un peu inattendu de la part de Roberto Rossellini dont le cinéphile retient avant tout qu’il a largement contribué au néoréalisme italien, La prise de pouvoir de Louis XIV est franchement réussi, tant dans le fond que dans la forme. La mise en scène est au service du propos. Très naturellement, elle montre Louis XIV mettant en place tout ce qui contribuera à sa grandeur, justifiant le titre au-delà de toute attente. Le film comporte donc essentiellement des dialogues, généralement dans des intérieurs. Mais il présente également une magnifique séquence de chasse à courre à l’issue de laquelle le roi se choisit une nouvelle favorite (Louise de Lavallière), la chasse pouvant être vue comme une allégorie car l’issue ne fait aucun doute : voir la puissance dégagée par l’ensemble des cavaliers, la meute de chiens qui n’hésitent pas à plonger dans une rivière, le tout étant renforcé par les sonneries de cors de chasse. La version restaurée permet de bien profiter des décors, des costumes et du mobilier.

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le 13 sept. 2015

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