Barbier nous brosse dans son film La promesse de l’aube une toile de fond sur le thème de la deuxième guerre mondiale : nous avons donc les vestes d’aviateurs, les ruelles polonaises pauvres et enneigées, Nice et son filtre jaune et bien sûr, des plans poitrine sur l’écrivain damné, sa machine à écrire et une bonne centaine de cigarettes fumées toutes les cinq minutes. Un tableau complet et propre. Seulement voilà, une reconstitution historique qui se veut originale et qui prend un point de vue intéressant, celui d’un jeune écrivain dont les motivations sont pour le moins curieuses, n’est pas vraiment censée faire à ce point dans la dentelle. Du détail, oui ; de la petite papeterie, non, au risque d’ouvrir la boîte de Pandore des clichés. Malheureusement, c’est un piège que le réalisateur n’a pas su éviter.


On se retrouve donc dans un film aux couleurs trop marquées, aux expressions typiques et à la dramatisation quelque peu forcée, qui se veut représentatif d’une époque mais qui en devient informatif… quel dommage pour une reconstitution certes historique mais avant tout artistique ! La forme n’a donc, à mon sens, de loin pas atteint son but. La réalisation se perd dans un esthétisme qu’elle ne semble pas tout à fait maîtriser, qui s’apparente à celle de Jeunet dans Un long dimanche de fiançailles mais qui ne s’assume pas tout à fait et rend la mise en scène fade et un peu confuse.


En ce qui concerne le fond, encore une fois, quel dommage que le matériel de Romain Gary, pourtant sublime, soit si mal utilisé ! Lorsque l’on est face à des mots aussi beaux que ceux de La promesse de l’aube, il n’est nul besoin de les alourdir par de grands effets cinématographiques. En attestent les quinze dernières secondes du film, incroyables, durant lesquelles Pierre Niney fait résonner les ultimes phrases du livre à nos oreilles, surprises de pouvoir enfin s’attarder au texte sans être gênées par l’image. La voix-over, justement, parlons-en. Si l’on décide qu’une voix-over prend en charge une partie du récit, il faut que cela soit significatif et non un pur effet d’esthétisme sinon, le propos en est gravement affecté. Or, outre la belle voix du protagoniste, rien ne semble ici la motiver. Au fil des scènes, l’action s’essouffle et l’intérêt du spectateur bat de l’aile. Il y a un réel regain d’énergie au moment où l’on change d’époque et Pierre Niney apparaît à l’écran, dans un classique mais très joli plan de reflet sur cadre photo en verre. Le récit est soudain porté par ce comédien tout en grâce et en complexité. On sent que les événements vont prendre une autre tournure, on rit même à quelques répliques bien amenées, on croirait presque à une renaissance… mais non. Charlotte Gainsbourg, qui campe la mère de Romain, revient de plus belle troubler le récit avec son accent polonais mal joué – grande erreur de direction – et ses envolées lyriques faussement émouvantes : on retombe de plus belle dans un déjà-vu pas des plus agréables. Une mention spéciale doit tout de même être attribuée à Jean-Pierre Daroussin, qui malgré la pauvreté de son personnage, parvient à lui donner une profondeur inattendue et un charme délicieux.


Si l’on se résume, nous sommes donc face une adaptation qui manque de sincérité, de sobriété et de recul, tant dans sa forme que dans son fond. Barbier semble pourtant, au milieu de beaucoup de détails inutiles, avoir certaines bonnes idées ; on peut donc souhaiter qu’il les mette mieux à profit, dans un nouveau film plus humble et que l’on souhaite plus réussi.


http://www.reelgeneve.ch/un-film-qui-ne-tient-pas-ses-promesses/

Mitsuba
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le 5 déc. 2017

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