Margot. Future reine. Pour l’instant c’est une courtisane. J’ai vingt(?) ans. Je baise, je danse, je m’amuse, comme toutes les filles de mon âge. Je ne me soucie pas du lendemain. Et voilà soudain Margot sacrifiée sur l’autel de la nécessité. Mariée de force à un huguenot, Henri de Navarre. Quelques calculs, complots, manipulations, plus tard, on arrive au massacre de la Saint Barthélémy, tristement célèbre dans les livres d’histoire-géo de la sixième à la terminale. Dumas sert de marchepied, il a fournit le gaz, Chéreau lui, préfère la petite intrigue à la grande histoire.


L’homme de théâtre ne cherche même pas à faire de reconstitution. Il préfère planter son décor dans des lieux chargés, qui sentent la pierre froide, et les relents baroques. Le reste est très suggéré. Des chambres, des ruelles, c’est très intimiste comme regard, même pas pittoresque. Le flamboiement des costumes apporte un charme, et fige de solennel. Le rouge domine, on devine bien pourquoi. Par contre, ce n’est pas un film historique. C’est un film d’auteur. Un tableau romantique et brutal. Les passions qui se vivent, et se meurent sans retenue. Les passions qui de dépeintes, finissent par avoir le dernier mot.


  Moderne, Chéreau s’intéresse à l’individu, qui se veut  libre dans un monde arriéré, théocratique, donc contraint. Ces gens à l’écran sont comme vous et moi, parlent comme vous et moi; avec une légère emphase (poétique) qui rajoute un peu de vernis au tableau. Ils sont rois, reines, et leurs actes ont des conséquences terribles, ce qui ne semble pas les affecter pour autant. Empoisonnements, haines réciproques, haine fraternelle, cocufiage d’un commun accord…Qu’elle famille ! Un vrai enfer. Les Atrides, famille maudite, qui ressurgit du néant, encore une fois. Le pouvoir corrompt et marque immanquablement au fer rouge.


Et l’amour ne fera rien pour arranger les choses. Trop humains, ces rois et reines. Les qualités, et les choix esthétiques, sauvent Chéreau du glauque absolu. La beauté austère des décors « naturels », les intérieurs baroques non flamboyant, les murs vides propice à la méditation. La couleur dominante, qui passe du rouge au cramoisie, en passant par le pourpre sur blanc. Du sang couleur velours; la beauté sèche des tourments intérieurs; et des élans contraires, de la raison contre la passion.


  Pas d’élucubrations politiques, donc. Les plus « beaux » seront ceux qui auront la faiblesse de s’abandonner. Margot, La Môle, Charles IX, quelques autres. Ça ne suffira pas pour les sauver, faut pas rêver, mais ça reste de l’espoir. Inceste, infanticide, guerres de religion. Quelqu’un a parlé d’espoir ici ? Non. Ils sont humains, déchus, et ne le font pas exprès. Humains et rien d’autre.


Margot, pute au grand cœur, sa servante/suivante, (Dominique Blanc) est son double domestique. Et les hommes, des instruments pour notre plaisir. J’aime cette brochette de luxe : Daniel Auteuil, Vincent Perez, Adjani très sobre, (quoiqu’on en dise), la fausse naïve magnifique, et Virna Lisi, la dame en noir, le spectre de Catherine de médicis. Je retiens Jean-Hughes Anglade en roi de pacotille. Un roi déchu avant même d’avoir régné, et qui se désagrège comme un château de sable sous nos yeux ébahis. Il m’a bluffé Jean-Hugues,(!) Personnage, trouble, instable, pathétique, avec une mort pathétique. Un film régal pour qui aime les acteurs.


    C’est cadré serré, Chéreau aime l’intime. Même le fameux massacre semble domestique. Les rues empilées de cadavres, me font penser à du Jéricho, ce peintre romantique qui n’aimait pas dessiner les pieds. Voilà une fin du monde, à la morale très esthétisée, quand même. Une musique « moderne », presque hors de propos, simple. Ça pourrait surprendre. Elle me plaît. Elle participe à cette abstraction du film, hors du temps, qui échappe à toute tentative d’emprise. Œuvre d’art narrative et barocco, pour rêver en marchant dans le sang qui ruisselle. Massacre.


Seul surnagera l’amour de Margot pour deux hommes. La Môle, et Henri de Navarre. La passion et la raison dans le même lit. Deux protestants. C’est une fille à problèmes cette Margot. Elle attire les ennuis, et les hommes à problèmes. L’amour au-delà de la guéguerre stupide, entre deux dogmes sous l’égide d’un même Dieu vengeur.
Dans une théocratie où on se dispute le pouvoir, à grand coups de bluffs mortels, Margot va-t’elle survivre ?  Elle joue un jeu dangereux. Sa famille, c'est un nœud de serpents. Elle a pour elle la beauté de la jeunesse, la noblesse de sang, et soudain du cœur, puis une âme. Alors que tout le monde autour d'elle tombe, dans le fossé, dans le même trou creusé à même la terre, elle choisit la passion contre toute raison. Comme ces deux frères ennemis qui se battent à mort, et finissent dans les bras l’un de l’autre, morts d'épuisement. Et Margot l’a dit : « Enterrez-les ensemble ». Elle a compris, elle. Protestants, catholiques, enterrés ensemble, finalement.
Et le final, un plan très beau. Elle s’en va vers son destin, avec son amoureux dans les bras, (ou plutôt ce qu’il en reste).

Angie_Eklespri
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le 6 oct. 2016

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