Il flotte sur The Queen of Spades un parfum fantastique singulier, dans lequel se loge un mystère légèrement angoissant, annonciateur en ce sens de l'ambiance si particulière que Jack Clayton parviendra à tisser douze ans plus tard, en 1961, dans Les Innocents. L'histoire diffère sensiblement dans le fond, l'écrin esthétique est ici marqué du sceau des années 40 / 50 plutôt que de celui des années 60, mais les points communs abondent. Le charme des récits horrifiques britanniques, à la lisière du fantastique, empreints d'une certaine poésie, opère ici pleinement.


L'histoire est tirée d'une œuvre de l'écrivain russe Alexandre Pouchkine, et prend la forme d'un conte situé au début du 19ème siècle, à Saint-Pétersbourg. On suit les déambulations du soldat allemand d'origine modeste Herman Suvorin, dévoré par l'ambition, désireux d'accéder au niveau de richesse de ces jeunes princes russes qui jouent au Faro et se pavanent en pariant de grandes sommes d'argents chaque soir. Une ambition qui trouve écho dans celle de son idole, Bonaparte, à laquelle plusieurs références seront faites. Pour arriver à ses fins, il déploiera un fin stratagème et un cynisme sans limite : conquérir le cœur d'une jeune servante, afin de pénétrer son lieu de travail et accéder à l'entourage d'une vieille comtesse aussi riche que mystérieuse. La raison cachée : elle détiendrait le secret des trois cartes gagnantes au Faro, après avoir peu ou prou vendu son âme au diable au cours d'un pacte vaguement faustien.


Thorold Dickinson prend le soin de développer une atmosphère fantastique remarquable, romantique pendant un moment, flirtant constamment avec l'occulte, le surnaturel, et le conte mystérieux. La photographie particulièrement soignée est un terreau de choix pour échafauder un univers très attrayant, au sein duquel le protagoniste évolue vers son objectif, obnubilé, de manière obsessionnelle, à mesure qu'il s'enfonce dans la folie. La Reine des cartes met relativement longtemps à préciser ses enjeux et ainsi à vraiment démarrer, mais le crescendo de tension qu'il a soigneusement confectionné finit par délivrer tout sa puissance dans la dernière partie. L'obsession de Herman pour le secret de la comtesse, son désir violent de grimper l'échelle sociale et d'accéder à ses rêves quelles qu'en soient les damnations résultantes, se font de plus en plus pesants et menaçants. Une trajectoire macabre qui file tout droit vers la tragédie.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Reine-des-cartes-de-Thorold-Dickinson-1949

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mon cinéma britannique, Pépites méconnues - Films, Mes films fantastiques et Cinéphilie obsessionnelle — 2019

Créée

le 18 févr. 2019

Critique lue 386 fois

7 j'aime

2 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 386 fois

7
2

D'autres avis sur La Reine des cartes

La Reine des cartes
AMCHI
6

Faro Fatal

Je suis tombé un peu hasard sur La Reine des cartes sans savoir que c'était une adaptation d'Alexandre Pouchkine et c'était plutôt un bon film mais c'est dommage qu'au niveau de l'atmosphère c'est...

le 5 mars 2023

2 j'aime

La Reine des cartes
Cinephile-doux
6

Le drame de pique

A Saint-Petersbourg, un officier cherche à obtenir le secret d'une vieille comtesse qui a vendu son âme au diable en échange du pouvoir de gagner aux cartes. La dame de pique de Pouchkine a fait...

le 1 nov. 2020

2 j'aime

3

La Reine des cartes
constancepillerault
7

Critique de La Reine des cartes par constancepillerault

Adaptation de la Dame de pique de Pouchkine. Si le bref récit de l'écrivain russe a subi transformations et ajouts, la trame est finalement plus proche qu'il n'y paraît de l'oeuvre originale par...

le 28 mai 2022

2 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11