Dix segments avec dix couples pour dix personnages, La Ronde est un film bien étrange. Situé dans une ville fantaisiste du début du XXe siècle ressemblant à une Viennes des contes romantiques, ce film voit l’apparition d’un narrateur brisant le quatrième mur et s’adressant aussi bien aux spectateurs qu’aux autres personnages, ces mêmes personnages qui forment la ronde en changeant continuellement de partenaire. Tranchant ainsi radicalement avec les habituels films à sketch, Ophüls bouscule également les mentalités de l’après-guerre : les protagonistes appartiennent à toutes tranches sociales, aussi bien militaires, prostituée, aristocrate, femme de chambre, tous se croisent et se lient. Fable satirique, La Ronde montre l’évolution de l’amour, en passant par la relation sexuelle et en allant jusqu’au désenchantement. Pour représenter ce tourbillon de sentiments, le réalisateur use d’un grand nombre de procédés techniques : ouvrant son film avec un plan-séquence, Ophüls l’accompagne d’un grand nombre de travelling. Pourtant le metteur en scène ne cherche pas à faire de son film quelque chose de réaliste : le tout est emprunt d’une artificialité assumée, se rapprochant à de multiples reprises du théâtre filmé avec des décors relevant presque de la postiche. Derrière de telles intentions de réalisation, le cinéaste cherche à reproduire une version fantasmée d’une ville romantique.


Subtil et raffiné, l’humour est au cœur de ce métrage tout en étant à son image : on sourit face aux dialogues et aux situations cocasses entre les personnages lorsque les couples s’échangent ou lorsque l’on voit arriver au milieu de ce joli n’importe quoi Gérard Philipe ou même lorsqu’on découvre pour la première fois Simone Signoret en prostituée. La Ronde est ainsi un film féérique, drôle, emprunt d’une ironie mordante qui rend le tout finalement pas si jolie que ça. Parfois lent et manquant de rythme, le film reste éternellement délectable pour sa mise en scène majestueuse – Ophüls ne s’interdit rien et ose tout !, ses acteur plus parfaits les uns que les autres – Signoret bien sûr, mais aussi Danielle Darrieux ou Anton Walbrook en monsieur loyal impeccable, sa musique douce et romantique. Avant Lola Montes, le réalisateur présente déjà un long-métrage emprunt d’un baroque fantaisiste et d’une théâtralité omniprésente. Envoûtant, ce film est d’une beauté sans pareille qui mérite d’être visionné.

Little_Nemo
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le 7 juil. 2016

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