Au beau milieu des années 1940, Fritz Lang continue sa « période films noirs », en réalisant La Rue Rouge, qui prend notamment la suite de La Femme au portrait (1944), avec lequel il partage un certain nombre de points communs. Une nouvelle virée dans les recoins sombres de la nature humaine.


On prend les mêmes et on recommence ? C’est ce que pourrait imaginer le spectateur qui découvre La Rue Rouge juste après avoir vu La Femme au portrait. On y retrouve le même trio d’acteurs principaux, une rencontre due au hasard comme élément déclencheur, de la manipulation et des coups bas, et même, le motif de la peinture. Une nouvelle fois, Edward G. Robinson incarne un quinquagénaire sans histoires, sympathique, modeste, dans ce qui est, cette fois, une adaptation d’une nouvelle française intitulée La Chienne, déjà adaptée à l’écran par Jean Renoir en 1931, dans un film dont celui de Fritz Lang pourrait être qualifié de remake, par conséquent. Caissier fidèle dans une boutique de vêtements depuis de longues années, Christopher Cross a tout du citoyen honnête et modeste. A côté, il vit pour la peinture, qui lui offre un exutoire et qui lui donne le goût de vivre, notamment lorsque son foyer est également occupé par une femme tyrannique qui ne l’aime pas, et qu’il n’aime guère plus en retour. C’est le jour où il décida de prendre un risque et d’espérer quelque chose d’autre, que tout bascula.


A l’instar de La Femme au portrait, La Rue Rouge choisit de nous présenter un personnage qui n’a rien à se reprocher, qui mène une vie que l’on pourrait qualifier de stable, pour nous mettre dans une sorte de confort qui ne permettra que d’accroître notre stupeur à la moindre désillusion. Comme le professeur Wanley dans le film précédent, Christopher Cross n’hésite pas à embellir le récit de son existence morne face aux yeux doux de la belle inconnue qu’il a extirpé des griffes d’un voyou peu de temps auparavant. Pour le peintre amateur, c’est le début du rêve, et le spectateur ressent également cet emballement, cette étincelle qui anime le cœur d’un homme qui en avait besoin. Mais La Rue Rouge est un film impitoyable. Dans La Rue Rouge, tout ce qui présente une forme d’espoir est aussitôt vicié par l’obscurité de la nature humaine, et, à chaque carrefour, c’est le mauvais chemin que l’on suit, pour un voyage jusqu’aux tréfonds de la nuit.


Il est impossible de ne pas faire preuve d’empathie envers le personnage de Christopher Cross, auquel on peut facilement s’identifier tant il est simple et humain. Et c’est ce qui rend La Rue Rouge si cruel. Dan Duryea et Joan Bennett retrouvent des rôles relativement similaires à ceux qu’ils tenaient dans le précédent film, notamment le premier, lorsque la seconde se montre ici sous les traits d’un personnage bien plus machiavélique et manipulateur. Ce couple maléfique représente tout l’inverse de ce que véhicule le personnage principal, avec cette volonté de vivre aux crochets des autres, cette capacité à mentir, où la justice ne se mettra jamais du côté du seul être honnête dans l’histoire. A chaque moment où le spectateur pense que la situation va pouvoir tourner en sa faveur, c’est l’exact contraire qui arrive.


La fatalité est une composante récurrente du film noir, et elle n’a jamais été aussi présente et cruelle que dans La Rue Rouge. Là où l’on met souvent en scène des personnages assez ambigus, ayant tous leur part de noirceur, La Roue Rouge montre ici la genèse de cette dernière suite à la mort de l’honnêteté et de l’espoir. Impossible de ne pas être pris par un sentiment de révolte devant cette descente aux enfers où la justice est devenue une notion étrangère. Alors que l’humanité est écrasée par le monde dans lequel elle vit, ses fantômes continuent d’errer pour maintenir le souvenir d’espoirs perdus.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 24 nov. 2020

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