La saison des femmes nous projette dans un village du Gujarat où tradition et modernité s'entrechoquent. Nous y suivons les heurs et malheurs de quatre jeunes femmes confrontées à une domination masculine toujours puissante. Qu'elles soient veuve, battue et stigmatisée pour stérilité, gogo-danseuse ou mariée à tout juste 15 ans, elles subissent toutes aveuglément un même système patriarcal. L'indienne Leena Yadav montre leur dessillement progressif. Dans la première partie du film, la violence symbolique est à l’œuvre. Les femmes se transmettent elles-mêmes de génération en génération les schèmes de pensée de l'oppresseur qu'elles ont intériorisés. L'une d'elle assomme ainsi sa belle-fille des leçons de soumission que sa mère lui avait fait subir au même âge : « Une femme qui pense trop est une mauvaise épouse ». Dans la seconde partie du film, à l'occasion d'excursions en pick-up hors de la communauté villageoise, les femmes vont partager leurs expériences, comprendre qu'elles sont les co-victimes du carcan patriarcal et s'inventer un autre futur. A ses amies qui n'avaient jamais imaginé que des hommes pouvaient parler pendant l'amour, la plus émancipée présente « l'amant mystique » qui l'a envoûtée par son éloquence inouïe. Celui-ci initie alors à la sensualité la jeune femme accusée à tort d'être inféconde, ce qui donne lieu à l'une des plus belles séquences du film. Parallèlement à ces portraits de femmes, le film expose l'ambivalence des moyens de communication modernes lors de scènes comiques qui sont autant de respirations bienvenues. Les femmes les transforment en outils d'émancipation leur permettant de nouer des liens avec des hommes de la ville et d'échapper un jour à leurs unions contraintes, ce qui pousse les patriarches, conscients d'avoir affaire aux agents de leur chute annoncée, à les maintenir à distance le plus longtemps possible. A travers cette problématique, c'est aussi les bouleversements de la condition masculine qui sont auscultés. Les jeunes garçons ont désormais accès à des vidéos pornographiques et autres séries américaines qui colonisent leur imaginaire de valeurs machistes et consuméristes. Au lieu d'accompagner le mouvement d'émancipation de leurs consœurs, ils tentent de se rassurer en s'enfermant dans un rôle de mâle caricatural. Leur fausse croyance la plus ravageuse est sans doute celle qui associe pernicieusement consommation d'alcool et virilité. En état d'ébriété, ils se transforment en pourceaux à la vulgarité sottement assumée... A la richesse du contenu scénaristique s'ajoute une photographie qui fait la part belle aux couleurs chatoyantes des habits traditionnels et une bande originale pleine de peps. En alternant scènes graves et instants de comédie, Leena Yadav parvient à aborder la misère de la condition féminine de l'Inde rurale sans tomber dans le misérabilisme.

etsecla
7
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le 22 juil. 2019

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