La disparition de Amy Dunne dans le dernier film de David Fincher établissait cette année le retour au cinéma des années 50 dans un décors médiatique et ultra connecté. Cette dernière fuyait une image de femme idéalisée par la culture américaine qu’elle s’était sculptée depuis la rencontre avec son époux.


Truffaut n’a certes par connu internet, il n’empêche de sa Sirène du Mississippi ressemble étrangement à un contrechamp de Gone Girl réalisé 40 ans plus tôt. Amy, après avoir fui son premier mari, se transforme en Julie Roussel (Catherine Deneuve) pour apparaitre miraculeusement devant Louis Mahé (Belmondo), ancêtre mielleux de Nick « Ben Affleck » Dunne.
L’apparition de Julie contre la disparition d'Amy. Deux évènements exposés avec une quasi-exactitude par les deux cinéastes. Intervention divine inattendue. Alors que nous attendions une brune descendant d’un bateau chez le français, c’est une blonde - chignon Madeleine en bonus - qui apparait dans le mouvement de la caméra comme par magie. De l’autre côté, alors qu’une chevelure blonde ouvre littéralement le film, elle disparait pour laisser place à la soeur brune dès les premières minutes. On comprend mal après cela ce qui a prit à l’ami François de dédier ce film à Renoir tant ce dernier s’inspire des mythes féminins hollywoodiens, Hitchcock en tête de liste.
Catherine Deneuve, vaporeuse et laiteuse dans un premier temps ; tout en demi-mesure et en mensonges à peine cachés (un canari pas si important, des incohérences évidentes par rapports à sa relation épistolaire avec Louis) se transforme radicalement dans une séquence reprenant à merveille le Vertigo du maitre anglais. Moment où Julie fait tomber devant nous le chignon de Madeleine pour devenir Marion. Scène qu’a également reproduit Fincher dans son Gone Girl, mais cette fois en voiture et non plus devant un miroir. Le générique pose tout autant les bases du récit : superpositions sonores de petites annonces matrimoniales induisant la multitude d’histoires possible, la multitude de femmes susceptibles d’apparaitre au détour d’un plan, devant la voiture de de Louis. Autant de possibilité amenant tout autant d’histoires différentes. Procédé que Fincher adaptait dans un marasme médiatique maitrisé par la totalité de l’Amérique pour mener à bien l’histoire que chacun veut se raconter (le selfie de la ménagère, le journal télé, Nick pleurant sur le plateau d’un talk show). Idée que l’on retrouve toujours chez le même cinéaste, matrice pour les deux.

S’en suis une succession de mise à l’épreuve d’un amour balançant entre le matériel et sensuel. Si Marion a un rapport à l’argent très intime, sa peur d’être seule prend le dessus ; l’absence de lumière conduisant la solitude. Elle reste quoi qu’il arrive avec Louis qui ne peut se résoudre, de toute façon, à vivre sans elle (« Je ne sais pas si je suis heureux, mais je suis incapable de me passer d’elle »). Truffaut puise aussi ses références chez Sirk, alliant scènes de discours mièvre (déclaration de Louis au coin du feu, déclaration de Marion sur un disque) et revers immédiat (Marion pas vraiment réceptive, disque qui se brise à la sortie du studio).


Louis et Marion, c’est Orphée et Eurydice. La mort vient constamment se placer au travers de leur relation pour la mettre à l’épreuve. Truffaut filme le meurtre comme étant la plus belle preuve d’amour, comme Orphée qui ne peut s’empêcher de regarder la femme qu’il aime même si cela doit la tuer. Chaque meurtre commis par l’un est compensé par l’autre et se répondent : Celui de la vrai Julie Roussel contre celui du détective, la tentative de Louis sur Julie/Marion contre celle de Marion sur Louis. 
Cet équilibre minutieux tend néanmoins à disparaitre (ou pas ?) dans un ultime plan où la neige efface les corps des deux personnages. Madeleine/Judy/Lucie/Marion/Amy continue de finir aux côtés de Scottie/Louis/Nick quelle que soit sa fin. Elle retourne toujours vers l’abstraction, ferme une boucle (la bobine ?) jusqu’à ce qu’un nouvel homme vienne s’éprendre d’elle.
T-Mac
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le 9 déc. 2014

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