Du cinéma muet d’Europe du Nord, nous retenons surtout Victor Sjöström, ou Carl Theodor Dreyer. Les deux cinéastes ont su se distinguer bien tôt dans l’histoire du cinéma, l’un avec La Charrette Fantôme (1921) notamment, l’autre un peu plus tardivement, avec Vampyr (1932). Il serait cependant regrettable d’oublier le cinéaste danois Benjamin Christensen qui, en 1922, réalisa son oeuvre la plus importante : Häxan, ou La sorcellerie à travers les âges.


C’est dans le rôle d’un professeur que le cinéaste se présente à nous. Un professeur qui nous raconte comment les civilisations antiques concevaient le monde, jusqu’aux mythes sur les sorcières, des plus anciens, aux plus connus, remontant au Moyen-Âge et à la Renaissance. Ce « professeur » nous propose un cours d’une dizaine de minutes, montrant la représentation des sorcières à travers le temps à travers diverses peintures et gravures. C’est une approche documentaire de Benjamin Christensen nous offre, celle d’un chercheur qui a exploré de nombreuses archives pour, aujourd’hui (ou, plutôt, en 1922), offrir sa propre histoire de la sorcellerie. Une histoire qui aura quelque chose d’unique et de tout à fait novateur : l’utilisation du cinéma.


En effet, Christensen se place comme héritier des artistes ayant réalisé les diverses œuvres qu’il expose en début de film, pour réaliser sa propre oeuvre sur la sorcellerie, utilisant toutes les techniques connues à l’époque pour dénoncer l’obscurantisme religieux. Si la reconstitution historique est importante pour le cinéaste danois, afin de nous faire revenir plusieurs siècles en arrière, il donne également vie à tout un monde de fantasmagories grâce à des scènes dantesques, comme un envol massif de sorcières sur leurs balais, ou des scènes de fêtes où des sorcières dansent avec des démons. Car, dans La sorcellerie à travers les âges, la place des croyances et leur manifestation est essentielle à une quelconque tentative de rétablir une forme de vérité historique.


A des scènes de vie de l’époque, Häxan associe des scènes de rêves et d’enchantements. Le fantastique se lie au réel, nous menant alors à nous interroger sur l’aspect effectivement documentaire et réaliste du récit ici proposé. Pourtant, rien n’est plus logique, car Häxan se base sur des représentations. Et l’Histoire telle que nous la connaissons aujourd’hui nous est également connue via des représentations, qu’elles soient artistiques, ou simplement issues de témoignages, qui sont aussi des formes de représentations. Et la sorcellerie fut justement une affaire de représentations, celle du mal et de tous les vices, portés par des femmes impies et « impures », qui furent chassées et condamnées au bûcher par milliers durant la Renaissance, entre autres. C’est l’image d’un obscurantisme religieux, colporté par des hommes, qui firent de ces femmes leurs cibles. L’objectif d’Häxan est de déconstruire le mythe de la sorcière pour isoler sa vraie nature, et, surtout, confronter ceux qui l’ont cultivé à leurs erreurs.


Häxan est un film profus, ambitieux. Horrifique, parfois comique, presque érotique, il mélange les genres, les tons et les registres en faisant preuve d’une grande modernité, adressant par ailleurs un discours féministe, en réhabilitant ces « sorcières », liant ces multiples croyances à une éternelle incapacité des Hommes à pouvoir tout comprendre et expliquer. C’est l’image d’un monde d’hommes qui a toujours associé aux femmes l’origine des maux de ce monde. Cela ne lui évite pas quelques longueurs dues à son aspect pédagogique, mais c’est sans conteste un film important et influent.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 9 août 2019

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