Il y a du Hector Malot dans La Strada. Dans cette vie arrachée contre un peu d'argent, dans cette vie de baladin qui évolue de ville en ville.


Elle suit et apprend. Elle se fait houspiller. Elle pleure et elle rit. Elle joue du tambour et de la trompette. Son visage est pourtant rayonnant, constamment innocent. Et ses yeux sont remplis de malice, tandis que certaines mimiques, maladresses ou encore son humour décalé, font penser à un Charlot au féminin. Giulietta Masina est l'égérie, une femme dans un corps d'enfant, le soleil et la pluie d'un duo mal assorti.


Il est violent, coureur, voleur, ombrageux, impressionnant. Il a des des allures de colosse fruste. Un colosse qui voudrait parler mais ne fait finalement qu'aboyer. Il lui apprend et lui tombe dessus. Il l'abandonne et la laisse sur le trottoir. Le portrait est finalement très peu flatteur, mais on se surprend à ne jamais totalement le détester. Anthony Quinn lui prête sa stature massive et son incroyable charisme naturel.


Ce couple est improbable et irrigué de sentiments étranges, d'attachement maladroits et de fêlures tues que Fellini fait évoluer sous sa caméra qui fait penser que le cinéma n'aura jamais été aussi facile à faire. Impression trompeuse démentie devant l'intériorité complexe et les relations évoluant constamment, entre les deux personnages principaux de cette errance, entre la force et l'émotion.


Car l'enfant devient la mère et la conscience. Veut attirer l'attention pour se rassurer, pour être aimé de celui qui fait figure de père. Ce dernier, lui, reste silencieux, jusqu'à être poussé dans ses retranchements. Il est à l'évidence traversé de traumas et de complexes, jusqu'à la jalousie.


Nouveau sentiment instillé par un ange funambule aux ailes de cartons, le destinant immanquablement à rejoindre les étoiles. Après avoir compris les maux du coeur de Gelsomina et les lui avoir révélés. Ce triangle dans le milieu du spectacle itinérant ferait presque penser au Cirque cher à Charlie Chaplin. Mais La Strada suit cependant sa propre route : celle d'un néoréalisme italien réinventé, celle d'un road movie qui s'ignore, rythmé par un montage soulignant la répétition des jours qui passent et la mécanique de la vie de baladin.


Jusqu'à la tragédie. Celle qui dérègle le quotidien et laisse les marionnettes qui y prennent part comme cassées. Sidérée, poupée démantibulée, Gelsomina touche le spectateur en plein coeur, tout comme Zampano, qui ne se sera jamais montré aussi humain, la libère de son service et de son engagement auprès de lui.


Tandis que La Strada se termine là où elle avait commencé : sur une plage. Comme si ce duo avait fait un aller et un retour. Mais un retour dans la nuit, en solitaire, dans une eau aussi salée que les larmes coulant sur les remords éprouvés, le temps d'une chanson fredonnée.


... Et une infinie tristesse qui restera longtemps après le mot fin.


Bohème_the_Mask.

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le 22 janv. 2020

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