Une nouvelle année ne vient jamais sans surprise, fussent-elles bonnes ou mauvaises. La Surface de réparation, petit film conçu pour passer inaperçu, est pourtant la première réussite du cinéma français de ce début 2018.


Les raisons de son quasi-anonymat, en plus de son simple statut de prod’ confidentielle sans promo philanthropique ? De loin, le film de l’inconnu Christophe Régin ne paie absolument pas de mine : son interprète principal Franck Gastambide, bien qu’il ait gagné une certaine popularité auprès d’un certain public jeune avec Les kaïra, n'est pas exactement George Clooney (et Taxi 5 ne l’a pas encore mis sur orbite, si jamais ça se fait) ; le film n'envoie pas la purée sur le plan esthétique ; et son sujet, les coulisses d’un club de foot de province, du point de vue des larbins qui vivent à leurs crochets ? Fallait sacrément y croire. D’autant plus que le cinéaste ne cédera à aucune des deux facilités suivantes : d’abord, la spectacularisation de l’action via le recours au ballon rond (jouons à Olive et Tom, deux minutes !) : l’action ne s’attardera JAMAIS sur le terrain, trop concentrée sur ce qui ne fait rêver personne ; ensuite, le basculement dans le répertoire du thriller pour maintenir l'attention du spectateur dans son dernier tiers, malgré de nombreuses opportunités : on n’aura même pas droit à un rebondissement de dernière minute. La peinture du milieu du football, quoique fort juste, restera parfaitement secondaire à côté de celle de ses coulisses pathétiques.


Mais on a bien dit : « de loin ». En… surface. De la même manière qu'il ne semble pas non plus se passer grand-chose dans The Yards, de James Gray, un des modèles du réalisateur. On ne décèle pas de fort caractère de metteur en scène dans son film, Régin livrant une réalisation attentive et sans faute de goût mais aussi un peu trop prudente, au-delà de quelques partis pris de mise en scène intelligents, comme l’utilisation du cinémascope, et ce grain de pellicule qui donne au film un cachet d’authenticité très adapté à l'histoire… ET POURTANT, quelque chose de fort s’y passe. Ça fonctionne plutôt bien, sur tous les plans.


La première raison, sa première qualité, est qu'il a un propos. Il a quelque chose d’intelligent à raconter sur un univers qu’il comprend, ce microcosme dysfonctionnel où ceux qui ont réussi paient des potes qui n'ont pas pour les garder à quai, générant cette faune de vers solitaires plus fournie qu’on ne le pense. Et ils sait comment le raconter. Il fonctionne sur le plan dramatique parce que fort de ce point de départ, il a alors l’intelligence de se dédier entièrement à son anti-héros, Franck, ex-promesse du foot reconvertie en homme à tout faire, incarnation de ces laissés sur le carreau, de ces recalés du rêve matérialiste, personnage pas « fini » que sa situation irrésolue empêche d’avancer dans la vie, trentenaire accablé par une crise existentielle qu'il ne sait exprimer, à la croisée de chemins qu'il peine à identifier, piégé dans un milieu qui l'a pourtant explicitement rejeté. Mais piégé par ses principes, surtout, et c’est ce qui en fait un personnage si fort. Car Franck est un très émouvant personnage de gars droit, loyal et dévoué, sorte d’über-supporter, envers et contre tout, y compris son bien, et contre toute attente, Gastambide, force tranquille à qui le personnage va comme un gant, l'interprète avec l'intensité d'un Tom Hardy (si, si) en moins spectaculaire. À ses côtés, le jamais spectaculaire Hyppolite Girardot est justement utilisé à bon escient dans ce rôle de président de club au fond pas forcément mauvais, mais d’une roublardise adaptée à ce monde sans pitié (verra la référence qui pourra) que le héros continue d'idéaliser. Et il en va de même pour le personnage moralement limite de Salomé, interprétée par la toujours méga-ravissante Alice Isaaz (qui était notre motivation première pour aller voir le film, en toute franchise) (parce que oui, rhââ lovely).


Alors, justement, certains trouveront le tableau un peu trop noir. Le déterminisme social un chouïa déprimant de ce film étonnamment mélancolique les rebuteront d’autant qu’il n’est pas sans revers, en ce qu’il finit par tuer la surprise : à la fin [spoiler alert !], on SAIT que Salomé laissera le héros en plan, parce que ce n’est juste pas ce genre de film. Pas que les gars bonnes poires abusés par de jolies pétasses profiteuses soient une figure rare ou inintéressante, mais disons que Régin abuse peut-être un peu du plan lose. Franck, perdant magnifique comme les Français les aiment, douloureusement authentique, et l'intimité de sa relation avec la caméra, sont donc ce qui FAIT le film, au détriment sans doute d'un récit qui aurait pu être mieux dosé, sur le plan dramatique. Mais nous pardonnerons cet défaut tant La Surface de réparation a ce quelque chose d’unique, et donc de précieux, qui nous fait aller au cinéma.

ScaarAlexander
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le 5 mars 2018

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