Où la tendance actuelle est à la surenchère dans les films d'espions, où l'agent secret est une sorte de super héros capable d'à peu près tout et n'importe quoi, La Taupe prend le genre à contrepied en proposant une vision plus froide, plus calme et d'autant plus crédible d'un complot au Circus pendant la guerre froide. Résultat plus que satisfaisant pour ce film au casting alléchant, ambiance so british et tension de tous les instants pour des dialogues savoureux.
Tout en finesse donc, le film dévoile son intrigue complexe, une ouverture déconcertante derrière le rideau de fer. Dès lors le ton est donné et la tension ne fera que monter tout au long du film. Attention, il n'est en aucun cas question de cascades spectaculaires et de gadgets en tous genres. Le film se veut intelligent et la mission la plus basique peut prendre des proportions hors normes pour le personnage comme pour le spectateur : on pense par exemple à la scène dans laquelle Benedict Cumberbatch doit récupérer des documents au Circus sans que personne ne s'en aperçoive. Rien de spécial, juste un jeu de regards, une caméra bien placée et la paranoïa de se trouver nez à nez avec le traître.
Trahison, passage dans le camp ennemi et membres éminents du MI6 impliqués. Il y a déjà de quoi s'inquiéter tant tous sont de par leur métiers d'excellents menteurs. Et même Gary Oldman, enquêteur parmi les espions peut être considéré comme suspect tant chacun cache son rôle dans l'histoire, a ses propres visions, ses propres buts dans la Guerre Froide. Le spectateur ne peut faire confiance qu'à lui-même et à son instinct, examinant les indices disséminés dans le film. Véritable parcours du combattant, les personnages sont passés au crible et l'enquête piétine sans jamais stagner. On imagine bien la difficulté de démasquer le coupable, quand les enjeux sont aussi importants que cela.
Tomas Alfredson, réalisateur du récent Morse, phénomène du fantastique s'attaque à un genre tout à fait différent et donne envie de découvrir son premier film, tant on sent la maîtrise d'une mise en scène sobre, intelligente et surtout, qui ne se prend pas la tête : loin d'un académisme pédant, il déplace sa caméra lentement sans omettre aucun détail et permet aux acteurs de développer leurs personnages avec une certaine classe même lorsqu'il s'agit de seconds rôles (Benedict Cumberbatch en jeune espion est très convaincant) mais sait toutefois les diriger de façon à ce que chacun joue sa partition ni plus ni moins.
Car avec un casting de cette ampleur, ce qui était à craindre était une sorte de bataille interne pour savoir qui aurait la part belle. Gary Oldman, égal à lui-même est simplement parfait et une fois n'est pas coutume, Mark Strong ne joue pas un salaud fini. Le film est une réussite, on se délecte de tant de mystères et on se prend à vouloir entrer plus encore dans ce monde fascinant. Loin de la vision, disons plus rocambolesque des 007 ou des Mission : Impossible où le divertissement est de mise, La Taupe se réserve le droit de privilégier l'enquête plutôt que les gadgets. Une pépite du genre.