« Vivre sans tendresse, ça on ne pourrait pas »

La tendresse, un sentiment discret qui advient souvent après la passion et l’amour (ou l’amitié), qui se manifeste par de petites et touchantes attentions, loin des démonstrations bruyantes et trop motivées par les tumultes originels. Pas de flamboyance, mais de la délicatesse ; pas de déclarations définitives, mais des actes modestes et sincères. La tendresse, sorte de sentiment mémoriel, c’est donc un écheveau de sensations subtiles et nuancées qui peuvent d’ailleurs échapper à ceux dont elle n’est pas l’objet. Si on voit bien comment la littérature peut se nourrir de ce formidable gisement, on émettrait volontiers plus de réserves sur la façon que le septième art va résoudre cette périlleuse équation. On se souvient qu’il était question de délicatesse dans le dernier long-métrage de Jacques Audiard : De rouille et d’os et comment celui-ci échouait à la faire exister sur l’écran.

Peut-être est-ce plus aisé pour une femme. Enfin, hors de toute considération sottement sexiste, il faut avouer que la réalisatrice belge Marion Hänsel réussit avec La Tendresse un joli film, fragile et émouvant, qui laisse aussi une belle place au spectateur. Ici, la tendresse, c’est d’abord celle que se témoignent un homme et une femme séparés depuis 15 ans, réunis dans l’urgence d’aller chercher leur fils dans les Alpes, blessé après une mauvaise chute dans la montagne. De la Belgique vers la Haute-Savoie, ce voyage organisé dans l’urgence leur permet aussi de faire le point, avec le recul et le détachement que l’ancienneté de la relation permet, tout comme cette incomparable promiscuité qu’offre une voiture parcourant les centaines de kilomètres monotones des autoroutes belges et françaises. La tendresse, elle s’exprime évidemment vis-à-vis de ce grand garçon casse-cou, quelqu’un qu’il parait impératif de protéger, attitude presque exagérée comme si elle pouvait être motivée par la culpabilité de lui avoir infligé la douleur et la souffrance de la séparation.

L’espace est important dans le nouveau film de la réalisatrice de Si le vent soulève les sables. Et contradictoire, puisque l’habitacle des voitures (une au départ, deux au retour avec en prime un passager supplémentaire et éphémère) et l’exigüité des chambres dans la résidence de vacances rendent encore plus vertigineuses l’immensité du massif alpin (dont atteste la très belle scène d’ouverture) et les perspectives des paysages traversés par les deux parents. Pour être parfaitement synchrones dans cet écrin infiniment délicat et modeste, à la fois drôle et angoissant par endroits, il fallait tout le talent d’Olivier Gourmet – capable d’endosser avec crédibilité tous les rôles et Maryline Canto – lumineuse et espiègle. Dès lors, les autres interprètes font quelque peu pâle figure, presque réduits à un rôle de passe-plats.

Si l’enjeu dramatique est à peu près inexistant, c’est bien sur la captation délicate et sensible d’une tendresse patinée par le temps et l’affection que Marion Hänsel convainc le plus. En l’occurrence, la modestie affichée et l’absence d’une plus grande ambition scénaristique ou d’effets de mise en scène ne nuisent aucunement au plaisir, lui aussi simple et modeste, qu’on peut prendre à cet aller-retour qui illustre à la perfection ceux, plus chaotiques et imprévisibles, des pensées et des sentiments.
PatrickBraganti
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le 4 oct. 2013

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